Bienvenue dans 20 sur 20, le podcast de L’Express Education. Philippine Dolbeau, entrepreneure, conférencière et animatrice télé, y accueille des personnalités du monde de l’éducation, des hommes et des femmes inspirants venus livrer leurs réflexions sur l’école d’aujourd’hui et de demain. Alors, qu’ils soient chercheurs, entrepreneurs de la EdTech, professeurs, parents, politiques ou même philosophes, tous partagent la même volonté de transformer l’éducation et de préparer la nouvelle génération aux défis de demain. Chaque semaine dans 20 sur 20, nous découvrons ces acteurs qui font bouger les lignes de l’éducation.
Dans cet épisode, Philippine Dolbeau rencontre Alon Rozen, Directeur Général et Président du directoire de l’École des Ponts Business School. Il est diplômé de l’Université de la Sorbonne, de l’International School of Management, et possède un MBA en finance de l’École des Ponts. Professeur depuis 15 ans, il consacre sa carrière à l’innovation et au développement de startups, tout en explorant le rôle d’entrepreneur. Sous sa direction, l’École des Ponts a mis en place des initiatives novatrices, où il a introduit des approches pédagogiques axées sur l’innovation et l’entrepreneuriat. Il est également impliqué dans des partenariats stratégiques qui renforcent l’interaction entre les mondes académique et professionnel.
Vous avez monté votre première entreprise à 16 ans. Comment cette expérience entrepreneuriale a défini votre parcours et votre vision de l’éducation ?
Alon Rozen : J’ai été éduqué dans l’idée qu’il faut travailler pour obtenir ce que l’on veut. Avec un ami, on a monté un business de jardinage. On était jeunes et on a réussi petit à petit à nous implanter dans des quartiers et des arrondissements. Une très grande boîte de landscaping nous a rachetés au bout de six mois de travail. […] J’ai toujours été créatif et cela m’a conforté dans l’idée que la créativité additionnée au travail payent, quand on est prêt à prendre des risques. J’ai toujours été impliqué dans l’innovation. J’ai très peu travaillé en entreprise car je préférais lancer des startups. Je suis meilleur créateur que manager, je préfère l’innovation.
Quels sont les moments clés de votre parcours qui vous ont mené à votre poste actuel ?
Alon Rozen : Je suis arrivé en France sans parler français. Je travaillais dans une boîte de conseil qui était axée sur le climat. […] J’avais ce goût pour le conseil et j’ai enchaîné après le Sorbonne avec un MBA à l’École des Ponts. En parallèle, je devais travailler pour payer les frais de scolarité et le loyer. J’ai continué de travailler comme consultant mais j’avais envie de créer une startup. À la fin du MBA, avec un ami, on a lancé notre entreprise dédiée au sport. On a levé des fonds mais on n’a pas réussi. Sauf qu’à partir de là, on m’a proposé de rejoindre plein d’autres projets. C’était tout un parcours de startup en startup, où j’ai fondé des entreprises. […]
Ce sont des expériences très riches qui ont enraciné mon goût pour l’entrepreneuriat. Au même moment, j’ai commencé à enseigner lorsque des écoles m’ont demandé de faire des cours de stratégie, d’entrepreneuriat et de marketing. Tout s’est mélangé en même temps. La vie d’entrepreneur compte 20 heures par jour, plutôt que 8 heures. C’était très riche de mélanger l’entrepreneuriat, l’enseignement, la création. Il y a une sorte d’adrénaline tout le temps.
Quelle est votre philosophie personnelle en matière d’éducation et d’enseignement supérieur ?
Alon Rozen : À l’école de Ponts Business School, nous aimons ne pas être comme les autres. Nous ne voulons pas seulement être une école de commerce de plus sur la liste. Nous essayons de ne pas tomber dans le banal et d’apporter quelque chose de différent. […] Nous permettons, par exemple, la création d’entreprise en cours d’année. Nous sommes dans cette obligation de créativité et d’originalité. Nous nous faisons souvent copier quand cela marche bien et il faut trouver la façon de se différencier par la suite, continuer à creuser, pour amener les participants et les apprenants plus loin. La philosophie, c’est vraiment de faire autrement, avoir un impact. Il faut vraiment qu’il y ait une différence entre la personne qui est venue nous voir et l’étudiant qui nous quitte avec la toge et le diplôme sous le bras. Sinon, c’est considéré comme un échec.
L’école est une zone de sécurité où il n’y a pas d’enjeu à l’échec. On doit donc pouvoir oser être soi-même. Pour cela, nous programmons des cours avec des coachs de développement personnel. Il faut oser être authentique et donner des feedbacks authentiques. Il y a beaucoup de Kleenex dans ce genre d’échanges, on touche au vrai et on laisse place aux émotions.
Vous parlez “d’une volonté de transformation positive de vos diplômés”, c’est-à-dire ?
Alon Rozen : Nous essayons d’axer nos programme autour de la créativité, de l’innovation et du croisement entre l’innovation, les nouvelles technologies, le leadership et l’impact social. Ce que nous souhaitons à la fin, c’est cette transformation positive. C’est quelqu’un qui a gagné beaucoup en compétences, en confiance et qui a envie de changer le monde : « Be the change you want to see ». Nous espèrons les inspirer sur les changements qu’ils veulent voir et leur donner de la confiance pour la suite.
Quels sont les plus grands défis auxquels l’enseignement supérieur est confronté aujourd’hui ?
Alon Rozen : Le système éducatif est prêt à être bouleversé. On sait que le modèle créé aux États-Unis pour un monde industriel est d’avoir des bons soldats qui travaillent de 9h00 à 18h00. Aujourd’hui, il faut changer. […] Nous sommes très orientés dans notre mission, sur les technologies responsables et encouragés par le développement de technologies qui peuvent aider les gens à mieux apprendre. Pour moi, l’IA est un outil merveilleux. […] On va raccourcir le temps d’attente, les frustrations des élèves, quand ils sont dépendant des superviseurs. […] De l’autre côté, le problème avec l’IA, c’est qu’elle peut remplacer la réflexion. Les études montrent très clairement que les personnes à habilité moyenne performent mieux mais n’apprennent rien. Pour nous, éducateurs, il faut montrer comment utiliser à bon escient l’IA pour rester dans un apprentissage. […]
L’intelligence artificielle a bouleversé vos programmes et votre manière d’enseigner ?
Alon Rozen : L’IA est un outil formidable pour résoudre des problèmes complexes : le climat, les transitions écologiques, les nouvelles énergies, etc. Il a sa place. Aujourd’hui, il y a une convergence incroyable des nouvelles technologies, comme la robotique, tout ce qui est blockchain, ce qui est smart cities, fashion durable ou slow fashion versus fast fashion… […] Cette convergence fait qu’il faut vraiment avoir un état d’esprit associatif. On peut créer des choses incroyables, mais il faut les faire de manière pluridisciplinaire avec une diversité cognitive très importante, c’est-à-dire des équipes riches, mixtes, d’origines différentes. C’est un défi parce qu’on n’est pas habitué à travailler, ni à réfléchir de cette manière.
Est-ce que vous travaillez au sein de votre école sur les soft skills ?
Alon Rozen : Un de nos programmes s’appelle LeadTech. […] On a créé ce projet qui mélange le leadership et les technologies responsables. La partie leadership développe les soft skills. Pour les compétences MBA habituelles, comme la comptabilité, la finance et même le marketing, un MOOC est présenté. Nous n’avons donc pas besoin d’enseigner les hard skills. L’apprentissage des soft skills et tout ce qui représente l’utilisation et la compréhension des technologies avancées, manquent aujourd’hui. Ce qu’il faut ce sont des leaders qui comprennent les technologies et qui sont prêts à les utiliser de manière responsable pour avoir un impact positif. […]
On parle dorénavant de storytelling. Je suis en train d’enseigner un cours à Harvard Kennedy School sur cette thématique. Pouvoir s’exprimer clairement et simplement est une compétence clé. Les personnes qui savent se présenter vont très loin dans le milieu professionnel. Il faut que les étudiants soient vraiment sur scène, avec un message à raconter et avec la confiance qu’ils ont en eux. C’est cela aussi les transformations positives. C’est cette capacité à passer des messages clairs, simplement, même sur des sujets complexes. […]
Quelle est la place de l’entrepreneuriat dans vos programmes ?
Alon Rozen : Sur la LeadTech par exemple, il y a trois challenges d’innovation. Le premier est le défi de concevoir une startup orientée vers l’impact social. Le deuxième permet d’aller plus loin et le troisième challenge a lieu la dernière semaine. Il est dédié à la création d’une startup que l’apprenant a envie de lancer. Il y a de plus en plus d’appétence pour l’entrepreneuriat. Les nouvelles générations ont moins peur de se lancer. Il y a une espèce de courage sociétal et une pression sociale positive.
J’ai une grande frustration lorsque je rencontre des personnes brillantes, qui ont de superbes idées, mais qui n’ont pas confiance en leur business et ne savent pas comment créer une startup. En 2025, nous lançons un nouveau master qui s’appelle “Tech for Good”, dédié à tout ce qui est French tech et deep tech pour les personnes qui ont des bonnes idées, mais qui manquent peut-être de confiance. On a un peu mélangé les notions d’incubateur, accélérateur et MBA pour faire un master sur 12 mois. Comme aux États-Unis par exemple. […] En France, on se demande plutôt si l’on va devenir enseignant ou aller travailler dans un laboratoire. Il n’y a pas le mot startup dans l’équation. Nous voulons l’ajouter.
Quel est le bon équilibre entre théorie et pratique ?
Alon Rozen : Le curseur est difficile à placer si on parle au niveau de l’enseignement national. Dans les écoles de commerce, le curseur s’est énormément décalé du côté de la pratique concrète, avec les MOOC et les cours asynchrones. On peut faire de la pédagogie inversée et apprendre les cours à la maison. […] Aujourd’hui, on voit que tout ce qui concerne l’apprentissage à partir d’un problème ou d’un défi donné, ou l’apprentissage par l’actionsont plus efficaces et ce sont des concepts qui sont ancrés à vie, car ils ont été expérimentés. […] La théorie a vraiment de moins en moins de place à cause des technologies qui permettent de moins apprendre par cœur.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui s’interroge sur son orientation après le bac ?
Alon Rozen : […] Si on ne sait pas ce qu’on souhaite réaliser comme carrière professionnelle, une école de commerce est une bonne base. Les étudiants peuvent tenter plein de choses par la suite. Les généralistes ont des carrières plus intéressantes et mieux rémunérées que les spécialistes. Si vous n’êtes pas piqué par une passion, n’hésitez pas à être généraliste et à suivre un parcours qui laisse beaucoup de portes ouvertes et de liberté. Vous trouverez par la suite les bonnes portes.
Vous conseillez à vos étudiants de ne pas tarder à développer leur image et leur réseau professionnel ?
Alon Rozen : Il est important de créer sa marque personnelle. Dans la Leadtech et dans nos programmes on fait des exercices de personal branding. On demande à nos étudiants de développer leur marque personnelle, d’expliquer leurs valeurs, les projets dans lesquels ils sont impliqués. […] C’est du personal branding, c’est plus américain, dans l’esprit, qu’européen, où la modestie, parfois, est un bon prétexte pour ne pas parler de soi. Aujourd’hui, je pense que chacun devrait avoir cette confiance pour prôner ses valeurs et ses projets.
Comment imaginez-vous la manière d’enseigner de votre école avec les nouvelles technologies de l’information ?
Alon Rozen : Nous avons créé depuis quelques années cinq piliers sur lesquels avancer. On fait beaucoup de recherches sur l’économie circulaire. Cela regroupe des recherches qui nous crédibilisent auprès de nos élèves sur des sujets très importants pour la société et le futur : climat, transition écologique, économie circulaire. On a aussi un pilier dont le but est de créer beaucoup d’entrepreneurs tech qui n’ont jamais imaginé qu’ils allaient se lancer et qui ont réussi. […]
Nous nous sommes développés au Maroc, […] en Chine également. […] On a un cluster sur la mode durable avec des gens de Milan, de Paris, de Londres, du Japon, du Kenya et des Nations Unies pour repenser le monde de la mode. Nous travaillons avec des personnes du monde entier. […] C’est un voyage international au sein de la classe, les apprenants rencontrent des personnes qu’ils n’auraient jamais rencontrées.
Quel est l’avenir des professeurs dans l’enseignement supérieur ?
Alon Rozen : À l’école des Ponts, la plupart des professeurs sont des experts, des intervenants externes qui sont professionnels dans leur domaine. Nous n’avons pas de professeurs permanents, à part moi et mon adjoint. La plupart des cours sont en workshop où l’on joue et l’on teste des choses. Les étudiants font de grosses journées mais ils repartent avec le sourire. Donner neuf heures de cours, c’est plus sadique qu’autre chose, mais quand on fait neuf heures de jeu créatif, ce n’est pas le même ressenti. Pour les enseignants et les apprenants, c’est une super expérience.
Si vous étiez demain président de la République, ministre de l’Enseignement supérieur, quelle serait votre première mesure ?
Alon Rozen : Première chose, je dirais que c’est d’encourager l’outil ChatGPT dans la classe pour les enseignants et les apprenants. L’objectif pour les professeurs est d’enseigner de manière ludique, grâce aux technologies. On a les réponses et on peut tout transformer grâce au jeu. Cela peut aider des professeurs, souvent obligés de suivre un programme pour libérer une créativité incroyable.
Vous comprenez la crainte de certains établissements supérieurs sur l’IA ?
Alon Rozen : À chaque nouvelle technologie, il y a beaucoup de personnes qui ont peur. Je suis de nature optimiste. Les outils peuvent être bien ou mauvais, tout dépend de l’utilisation. Interdire donne aussi envie de le faire, on sait qu’ils vont l’utiliser. Faire semblant de ne pas l’utiliser ce n’est pas intéressant non plus. Il faut plutôt comprendre comment mettre en place une utilisation intelligente de cette technologie.