« Si vous voulez changer le monde, devenez ingénieurs ! », déclarait Patrice Caine, PDG de Thalès. Dans un monde où les transformations technologiques et les crises écologiques se succèdent, les ingénieurs portent la responsabilité de conjuguer innovation technique, réflexion éthique et actions durables. Quels défis concrets devront-ils relever, et comment s’y préparent-ils ? Trois écoles d’ingénieurs nous expliquent comment elles adaptent leurs programmes pour former une nouvelle génération d’acteurs du changement.
« L’ingénieur moderne doit répondre aux besoins d’une société en mutation tout en respectant les limites planétaires », pose d’emblée Nadège Troussier, directrice générale adjointe des formations aux Arts et Métiers (ENSAM). Une affirmation qui résume l’équation complexe à laquelle ces professionnels doivent faire face : intervenir sur des systèmes techniques de plus en plus changeants, tout en assumant des choix aux conséquences à long terme. « On sait par exemple que l’IA générative va poser de gros problèmes énergétiques et environnementaux. Ils vont devoir réfléchir à des usages raisonnés, maîtriser toutes les technologies ainsi que leurs impacts, en particulier numériques. »
Alors que la transition écologique est loin d’être achevée, la transition numérique s’impose comme un nouvel enjeu majeur. Gaëlle Lissorgues, directrice générale adjointe de l’ESIEE Paris, plaide pour un numérique responsable et sobre. « Nous aimons parler de transition numérique, car si le numérique est déjà présent dans l’industrie, son rôle dans cinq ou dix ans reste une inconnue. Il est essentiel que nos étudiants soient préparés à ces bouleversements pour anticiper et s’adapter. »
Former des futurs ingénieurs à la hauteur des défis contemporains
Pour Armel de la Bourdonnaye, directeur de l’INSA Hauts-de-France, l’ingénieur n’est plus seulement un expert technique : « Son rôle est de faire la synthèse entre des questions technologiques, sociétales et écologiques, pour proposer des solutions. » Une définition que rejoint Vincent Pensee, directeur académique de l’ESIEE : « Le propre de l’ingénieur est de résoudre un problème dont la solution n’est pas connue, on revient à son rôle fondamental. » Dès lors, comment les former ? Les programmes des écoles sont-ils eux aussi en pleine mutation ?
Si les modules et techniques d’apprentissage sont propres à chacune, les écoles d’ingénieurs se rejoignent sur un socle scientifique solide. Commençons par les Arts et Métiers, dont la formation favorise la techno-diversité. « L’idée est d’avoir des ingénieurs qui ont des bases scientifiques et techniques fortes pour les mobiliser dans différents scénarios de vie », explique sa directrice adjointe. Les étudiants sont immergés dans des scénarios prospectifs inspirés des modèles de l’ADEME 2050, combinés à des exercices de gestion de crise. Les parcours proposent également des spécialisations en low-tech, énergies décarbonées ou encore éco-conception, afin de renforcer une approche systémique.
Armel de la Bourdonnaye évoque le programme Climat Sup de l’INSA Hauts de France, qui intègre dans toutes les disciplines des compétences liées aux limites planétaires. Même constat à l’ESIEE Paris : « On les oblige à réfléchir concrètement aux limites planétaires au sein de projets concrets, en lien avec le secteur industriel qu’ils ont choisi pour spécialité », ajoute Gaëlle Lissorgues. Les formations intègrent également une dimension éthique incontournable. « Nous formons nos étudiants à réfléchir aux conséquences sociétales de leurs choix techniques et industriels. L’enjeu est de les responsabiliser dans leurs engagements. »
Le spectre du techno solutionnisme dans les métiers de l’ingénierie
Nadège Troussier met en garde contre le « techno solutionnisme », le fait de croire que la technologie peut résoudre tous les problèmes, y compris ceux créés par des technologies antérieures. « Le numérique nous fait tout oublier très vite : rappelons-nous par exemple que l’humanité a su produire et transformer la matière sans dépendre de sources énergétiques colossales. Peut-être devrions-nous réapprendre ? »
Cette réflexion interroge la prégnance croissante des technologies numériques dans les formations d’ingénieurs. « Nous formons aujourd’hui beaucoup de numériciens, mais qui saura encore concevoir et transformer sans dépendance à l’énergie ? » s’interroge-t-elle. Le défi consiste donc à conjuguer cette maîtrise numérique avec une approche plus sobre, où l’ingénierie redeviendrait une forme de « techno-artisanat », attentive à son impact, pour relever les grands défis de demain.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Les ingénieurs au cœur des enjeux de demain.
Rôle clé des ingénieurs face aux défis contemporains : Les ingénieurs sont appelés à allier innovation technique, réflexion éthique et développement durable dans les start-up et entreprises pour répondre aux enjeux sociétaux et aux crises environnementales croissantes.
Préparation à une transition numérique responsable : Dans l’enseignement supérieur, les écoles d’ingénieurs, comme l’ESIEE Paris, insistent sur la nécessité de former des étudiants capables de naviguer dans un paysage numérique en constante évolution, tout en étant conscients des impacts environnementaux associés.
Formation orientée vers une approche systémique : Les programmes d’études liés aux métiers de l’ingénierie intègrent des compétences liées aux limites planétaires et à la durabilité. Les étudiants sont formés à penser aux conséquences de leurs choix techniques et à développer des solutions innovantes, incluant des spécialisations comme l’éco-conception, utile dans leur future entreprise.
Innovation dans l’apprentissage : Les institutions adoptent des méthodes pédagogiques nouvelles, comme des scénarios prospectifs et des exercices de gestion de crise, pour renforcer les bases scientifiques et techniques de leurs élèves et les préparer à des défis réels.
Mise en garde contre le techno-solutionnisme : Les experts soulignent la nécessité de se méfier de l’idée que la technologie peut résoudre tous les problèmes en entreprise. Il est important de réévaluer une approche plus artisanale et sobre de l’ingénierie, en tenant compte de l’impact des choix technologiques sur l’environnement et la société.