“Cauchemar pour élèves”, “colérique”, “sans coeur”, vous avez peut-être déjà entendu l’un de ces mots pour qualifier le CPE, le Conseiller principal d’éducation. Même s’il doit faire régner l’ordre au sein des collèges et des lycées, sa mission principale reste d’accompagner les élèves tout au long de leur vie scolaire, de l’adolescence à l’âge adulte.
Marie, CPE dans un lycée de la banlieue de Lyon, nous raconte son parcours dans les différents établissements où elle est intervenue depuis 5 ans. Elle nous parle notamment de l’importance de son rôle de CPE auprès des jeunes : de son travail cadré par des méthodes traditionnelles, en passant par sa relation avec les élèves, aux écarts de moyens dans différents établissements… Témoignage.
En quoi consiste votre métier de CPE ?
Marie : Le métier de conseillère principale d’éducation est décrit officiellement comme le fait d’amener tous les élèves vers l’épanouissement personnel et la réussite scolaire. L’objectif est de faire en sorte que les élèves se sentent bien à l’école, pour qu’ils travaillent dans les meilleures conditions et qu’ils réussissent leur scolarité. Je fais en sorte qu’ils soient dans les meilleures dispositions pour être bien au sein de leur classe et qu’ils soient présents. Je contrôle leur assiduité et je fais en sorte que tous les incidents de discipline soient réglés pour qu’au moment de l’entrée dans la classe, ils aient les conditions pour réussir.
Comment se sont organisées vos études ?
Marie : Après mon bac S, je savais que je voulais travailler dans une structure profondément utile pour la société. Je me suis orientée en biologie, puis, à la fin de ma licence j’ai réalisé qu’aucun master ne m’attirait. Il s’avère que mon université proposait des masters d’encadrement éducatif pour devenir CPE. Ce master acceptait les étudiants de toutes les licences. J’ai eu le déclic : l’éducation me branchait bien plus que le microscope.
Je me suis dit que c’était parfaitement ce que je voulais faire : aider les élèves à se sentir bien et faire en sorte qu’ils réussissent. À l’époque, j’ai passé le concours en M1. Le Master 2 s’organisait en deux parties : une à l’école et l’autre en stage. Maintenant, il faut valider le master et après passer le concours de conseiller principal d’éducation (CPE). Il est composé de deux épreuves écrites en mars et de deux oraux en juin, comme les autres concours de l’Éducation nationale. Mon concours a été validé par le chef d’établissement, par mon tuteur, par l’université et par l’inspecteur d’académie suite à mon stage.
Une formation existe-t-elle pour devenir CPE ?
Marie : Le parcours classique pour accéder au métier de CPE est de faire une licence éducation, puis de poursuivre en master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation), mention encadrement éducation. Le master MEEF est accessible à toutes les personnes possédant un niveau licence. Il est possible de devenir CPE avec la réussite du concours et la validation du master 2.
Après le concours, place à l’affectation ?
Marie : Oui, c’est le même fonctionnement que pour les enseignants. Seulement, il y a moins de places disponibles. Une fois le concours validé, l’affectation fonctionne sur un système de points. Ils sont obtenus en fonction du nombre d’années travaillées dans l’éducation nationale, du nombre d’enfants à charge, de la situation matrimoniale, etc… J’ai commencé avec 14 points, obtenus grâce à la réussite de mon concours.
Je souhaitais être affectée dans l’académie de Lyon. Mais, à l’époque, je devais atteindre les 600 points. J’ai donc dû partir et choisir entre plusieurs académies. J’ai fini dans un collège en Seine-Saint-Denis (93). C’était un collège de 700 élèves, presque assigné REP (Réseau d’Éducation Prioritaire), qui comptait deux CPE. Il y avait peu de moyens. Je suis restée trois ans. Je me suis pacsée par la suite et il m’a fallu deux ans avant de pouvoir redescendre sur Lyon. J’ai ensuite fait un an dans un lycée de banlieue lyonnaise, avant d’être affecté dans l’établissement où je suis aujourd’hui.
Quels sont les avantages du métier de CPE ?
Marie : Je suis en contact avec l’humain, de tous les âges et de tous les milieux sociaux. C’est un métier hyper relationnel qui fait grandir et évoluer. Nous sommes en contact avec l’humain qui grandit, qui remet tout en question et qui a besoin de nous pour être encadré. Aucune de mes journées ne se ressemble. Il y a des tâches qui se répètent mais jamais dans le même ordre. J’ai la possibilité d’organiser mes horaires et les heures que je fais ne sont pas excessives. Pour l’instant, je me sens super bien dans ce que je fais. Après les vacances scolaires, j’ai juste envie de retourner travailler pour aider les élèves à gérer leur quotidien.
Quelles sont les difficultés ?
Marie : Les difficultés du métier sont le manque de moyens au sein de l’Éducation nationale, et au-delà. Quand on signale un élève parce qu’il se fait battre à la maison, le manque de place dans un foyer fait qu’il doit retourner chez lui. C’est assez dur à vivre et je dirais que c’est le plus gros désavantage car cela représente une barrière à mon champ d’action. Il y a aussi différentes règles particulières assignées à la vie scolaire qui nous empêchent d’être à 100 % présent pour les élèves. La société française nous freine. J’aimerais être la CPE des États-Unis, qui instaure le tutoiement entre ses élèves, qui est proche d’eux et les cadre bien.
Je trouve que l’on est vieille France sur plein de choses et cela bloque notre métier. Les établissements manquent de budget nécessaire à l’organisation d’activités et de sorties, afin de rendre l’environnement scolaire plus accueillant, davantage adapté aux élèves. L’objectif serait de les faire apprendre dans des structures où ils ont envie de venir.
À quoi ressemble un jour type en tant que conseiller principal d’éducation ?
Marie : La journée commence avec l’ouverture du portail, pour accueillir tous les élèves. C’est un temps important qui permet de repérer les visages, les amitiés, les divers profils d’élèves. Dès leur arrivée au sein de l’établissement, ils savent que nous sommes là. Je rejoins ensuite mon bureau à la vie scolaire pour réaliser toute la partie administrative, je vérifie mes mails et les absences des élèves. Les missions qui suivent sont diverses : convoquer un élève, traiter un incident et recueillir des témoignages, par exemple.
Au quotidien, on reçoit beaucoup d’élèves. Il faut gérer les urgences, comme par exemple le cas d’un élève qui entre dans le bureau en pleurs. On les regarde pleurer sans avoir le droit de les toucher car on est régi par des règles qui ne sont finalement pas en adéquation avec le terrain.
Quel est votre meilleur et votre pire souvenir ?
Marie : Les simples “merci” des élèves sont très satisfaisants. Mes meilleurs souvenirs se déroulent hors du cadre scolaire. Je me rappelle d’une semaine du “vivre ensemble” dans mon ancien collège, où chaque enfant était arrivé dans sa tenue culturelle, pour défiler et c’était magnifique. Les enfants étaient heureux d’être au collège et ils se sentaient valorisés dans leur culture d’origine. Une fois, nous les avons emmenés à la ferme pédagogique. L’élève qui passait son temps à taper sur tout le monde dans la cour était le premier à courir après un lapin pour l’embrasser.
À l’inverse, le pire souvenir c’est quand on m’a appelé à l’extérieur du collège pour me dire qu’un enfant était en train de tomber dans le coma et qu’il s’était fait frapper par d’autres de mes élèves. J’ai fini à la préfecture de police pour témoigner. C’était très compliqué de se confronter à cette violence.
Quelles compétences sont nécessaires pour occuper ce poste ?
Marie : Il faut aimer fort les enfants. Il faut partir de l’idée que tous les enfants sont bons et que c’est à nous de faire en sorte de tirer le meilleur d’eux. Il faut aimer son métier et surtout croire en ce que l’on fait. Comprendre que l’éducation est le meilleur moyen de sortir les élèves de ce qui est le moins bon pour eux. Outre les qualités d’écoute, il faut des épaules et pouvoir maintenir une distance face aux problèmes des élèves. Le CPE n’est ni un assistant social, ni un psychologue, ni un infirmier, mais il est le premier relais : le médiateur.
Quels conseils pour quelqu’un qui hésite à se tourner vers le métier de CPE ?
Marie : Je conseillerais de rester soi-même avec les élèves. Si vous les aimez, que vous avez envie de les faire réussir et que vous êtes naturel, cela fonctionnera. Ils veulent de l’authenticité. De plus, la mutation ne doit pas faire peur. Je sais que cela peut effrayer mais finalement mes plus beaux souvenirs en tant que CPE se déroulent durant mes trois années en Île-de-France qui m’ont complètement changé.
C’est complexe, mais on aborde ensuite les choses autrement face à des professeurs ou d’autres CPE qui n’ont pas connu ces expériences. La première année permet d’arriver dans un établissement et de savoir quel CPE on veut et on peut devenir. C’est important de prendre le temps de rester dans un établissement pour prendre ses marques et établir un lien avec les élèves.
CPE en établissement “sensible” et CPE en établissement “bourgeois”, une différence majeure ?
Marie : C’est un autre monde et il faut en avoir conscience. Ce n’est quasiment pas le même métier. Au sein des établissements plus sensibles, il y a une réelle misère sociale, un manque de moyens et une violence sans nom. Les élèves sont plus énervés, en colère, les parents le sont donc aussi, et le manque de temps et de moyens se fait vite ressentir. Dans ces établissements, on a 10 000 fois plus d’urgences. Travailler avec un enfant qui n’a pas de maison, ce n’est pas le même travail qu’accompagner un élève qui a un foyer et du matériel à disposition… Dans les établissements compliqués, on est utile pour tout le monde et on le ressent. Nous sommes sur le terrain tout le temps, on court dans les couloirs, voire dans la ville. On est essentiel pour le chef d’établissement, les professeurs, les parents et surtout les enfants, qui ont besoin du CPE.
Cette différence des vies scolaires entre les établissements me permet d’exercer mon métier autrement. Aujourd’hui, je suis dans une structure neuve où le CPE possède davantage un rôle dans l’animation et la vie dans l’établissement, ce qui reste aussi l’une de nos missions. Dans un collège ou un lycée plus aisé, on a alors un rôle d’accompagnateur dans la vie citoyenne des élèves. On leur apprend à voter, à organiser des choses, à respecter le tri, à respecter l’autre. Ici, on a un rôle plus “gentil”, moins flic.
Le stéréotype du CPE égale “Cauchemar pour élèves”, est-il toujours d’actualité ?
Marie : C’est notre première mission d’être derrière leur dos et de ne pas les lâcher. On est présent pour s’occuper des problèmes de discipline et d’absentéisme, mais comme une maman qui élève et fait attention à son enfant. Notre rôle ne devrait pas empêcher les élèves de bien nous aimer. Personnellement, je peux me vanter que les jeunes m’apprécient malgré mon métier.
Ce stéréotype existe seulement parce qu’il y a certains CPE qui l’entretiennent encore. Certains pensent que faire peur aux élèves permet d’obtenir le respect et de meilleurs résultats. Pour eux, la bienveillance n’existe pas et il est nécessaire d’être dur et d’entretenir le rôle de vilain flic. Mais cela produit l’effet inverse, l’élève se met en colère, se braque, arrête de venir à l’École… C’est plutôt en jouant le rôle de la maman dans l’établissement, en les aimant et en les écoutant que l’on réussit. C’est aussi en tapant du poing sur la table quand il faut le faire, en criant quand il faut crier. L’important est d’expliquer et de communiquer. On est humain, il faut se mettre dans cette position d’égale à égale.
Des tensions sont présentes face aux CPE soutenant ces méthodes traditionnelles ?
Marie : Beaucoup d’anciens ne se mettent pas dans cette position d’humain à humain. À une certaine époque, et encore dans plusieurs sociétés contemporaines, on pense qu’être dur, être violent psychologiquement, avec la population va nous permettre de la maîtriser et de la faire fonctionner. Ce n’est pas vrai et cela crée des conditions de travail déplorables. Ce n’est pas notre rôle, on est là pour leur épanouissement. Après, c’est aussi une question de personnalité, des CPE plus expérimentés que moi sont très ouverts et géniaux avec les élèves.
Qu’est-ce que vous mettez en place pour moderniser vos missions ?
Marie : On a organisé une journée solidaire où les enfants donnaient des vêtements dans un stand dédié. Parfois, on organise une journée complète en fin d’année pour faire la kermesse. Ce sont des semaines de préparation afin d’organiser les stands, de demander aux professeurs de venir, d’inviter des radios,… J’ai déjà initié des petites actions à l’extérieur, comme le ramassage des déchets autour de l’établissement. Il faut réussir à prendre le temps de faire toutes ces actions et de les organiser.
On est aidé par l’Éducation nationale qui nous souffle des idées : lutter contre l’homophobie ou le harcèlement, par exemple. Cette année, je vais sûrement axer le programme sur l’écologie. Il y a des moyens, avec des élèves calmes et des professeurs motivés. Tout est réuni. L’obstacle majeur reste le temps. En région parisienne, dans un collège de 700 élèves, on manque encore plus de temps pour ces activités. Le climat scolaire général joue énormément sur la qualité du travail d’un CPE et sur l’étendue de ses possibilités.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : le rôle fondamental du conseiller principal d’éducation (CPE) dans les établissements scolaires.
Mission principale du CPE : Il est principalement responsable de l’épanouissement personnel et de la réussite scolaire des élèves. Son rôle inclut la gestion des absences, la résolution des conflits disciplinaires et la création d’un environnement propice à l’apprentissage.
Parcours diversifié vers la profession : Marie a suivi un parcours atypique, passant d’une carrière en biologie à la formation en encadrement éducatif. Cette évolution montre qu’un engagement fort envers les jeunes et une quête de sens permet de devenir un CPE à l’écoute de ses élèves.
Défis rencontrés : Le métier est marqué par des difficultés, notamment le manque de ressources et des situations de conflits. Les CPE doivent gérer des cas complexes dans des environnements souvent difficiles, rendant leur rôle encore plus essentiel.
Importance de la bienveillance : Elle plaide pour un accompagnement bienveillant et respectueux, qui favorise un climat de confiance. Elle souligne que le CPE doit se positionner en tant que vrai médiateur et soutien pour les élèves, plutôt que d’adopter une approche autoritaire.
Besoin d’évoluer avec le temps : Le secteur de l’éducation nécessite une adaptation constante face aux nouvelles réalités sociales et aux différences culturelles des élèves. La CPE recommande que les formations pour les CPE incluent davantage la gestion des changements sociétaux afin de mieux répondre aux défis contemporains et d’améliorer l’efficacité des interventions.