Bienvenue dans 20 sur 20, le podcast de L’Express Education. Philippine Dolbeau, entrepreneure, conférencière et animatrice télé, y accueille des personnalités du monde de l’éducation, des hommes et des femmes inspirants venus livrer leurs réflexions sur l’école d’aujourd’hui et de demain. Alors, qu’ils soient chercheurs, entrepreneurs de la EdTech, professeurs, parents, politiques ou même philosophes, tous partagent la même volonté de transformer l’éducation et de préparer la nouvelle génération aux défis de demain. Chaque semaine dans 20 sur 20, nous découvrons ces acteurs qui font bouger les lignes de l’éducation.
Dans cet épisode, Philippine Dolbeau rencontre Marie Taquet, ancienne étudiante en école de commerce, elle a vécu de près les limites de l’enseignement traditionnel et a décidé de fonder l’école qu’elle aurait aimé suivre. Une école qui casse les codes traditionnels de l’enseignement supérieur : IconoClass. La structure se positionne comme une alternative aux longues années d’études académiques, en offrant une formation intensive en business development, accessible à tous, qu’on soit jeune diplômé ou en reconversion… Loin des diplômes classiques, IconoClass mise sur l’apprentissage pratique et le retour au terrain pour garantir un emploi à ses étudiants.
Vous avez quitté une école de commerce traditionnelle. Ce n’était pas du tout votre truc ?
Marie Taquet : C’est le cas d’ailleurs de beaucoup de jeunes, mais qui n’ont pas forcément assez confiance en leur avenir pour réussir à passer le pas. Il y avait plusieurs points qui étaient assez désastreux en réalité. Le premier, c’était qu’on avait peu d’heures de cours dans la semaine. Les professeurs n’avaient pas mis un pied dans une entreprise depuis un bon moment, donc les savoirs qu’on nous délivrait étaient parfois obsolètes. J’avais l’impression que ce que j’apprenais à l’école avait déjà un train de retard. Ensuite, le prix : un master coûte entre 30 000 et 50 000 euros dans une école de commerce privée en France.
On ne pousse pas forcément les jeunes à aller dans des écoles en trois mois, en cinq mois. On se dit que c’est trop tôt, trop rapide pour apprendre un job. Dans les 50 ou 100 années à venir, les formations seront beaucoup plus courtes. La capacité d’attention des jeunes avec les réseaux sociaux devient de plus en plus limitée. Les formats d’apprentissage vont sur des formats courts, comme les vidéos et les podcasts. Quelle sera la place des études longues dans ce schéma ?
IconoClass, qu’est-ce que c’est ?
Marie Taquet : Iconoclass est un nouveau genre d’école de commerce. Il est programmé sur trois mois et permet d’apprendre le métier de commercial, appelé aussi business developer. C’est basé à 80 % sur la pratique du métier et on apprend pour de vrai le métier. Les enseignants sont uniquement des professionnels. On a donc des vrais retours sur ce qu’il se passe sur le terrain. Cela me paraît catastrophique qu’il y ait 20 % de jeunes qui possèdent des diplômes mais pas de métier. C’est un système qui va devoir changer, se remodeler. Les personnes ont besoin de résultats et plus que jamais, surtout quand on est jeune.
Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées ces dernières années ?
Marie Taquet : Au début, il y a déjà une difficulté sur le fait d’arriver à prendre confiance en soi. J’avais 23 ans quand j’ai monté cette école et je n’avais toujours pas fini mon cursus. Je me suis heurtée à toutes les difficultés rencontrée par un entrepreneur : la finance, créer sa marque… Le défi aussi quand on monte une école, c’est qu’il y a le prix. Il y a le temps que l’apprenant passe et ne récupérera jamais à prendre en considération. Je mets un point d’honneur à essayer que ces trois mois soient les plus riches possibles et qu’ils se sentent le mieux possibles.
J’ai appris totalement par la pratique, en autodidacte. Je suis la preuve vivante que c’est aussi possible sans diplôme de s’en sortir en France. Il faut arriver à sortir de cette case. Ce que je critique sur le diplôme, c’est d’essayer de nous mettre dans un moule, d’effacer nos personnalités et nos envies. On a une pression sur le fait de faire des études longues. En France, on a un peu cette phobie : « si je ne fais pas d’études longues, je finirai nulle part. » Il est possible d’apprendre sans forcément faire de longues études, et le diplôme devrait servir à valider des compétences, en essayant de mettre plus en avant nos personnalités. Je crois beaucoup au développement personnel, aux compétences douces, aux compétences humaines, que l’on sache où on a envie d’aller. L’objectif est d’être encore mieux dans notre travail et heureux.
Vous avez d’ailleurs choisi de créer une école qui n’attribue pas de diplôme. Un pari réussi ?
Marie Taquet : Oui. D’une certaine manière, on sera obligé d’aller sur le système du diplôme en France, parce qu’aujourd’hui on est très peu mis en avant. Ce que l’on essaie de travailler, c’est de déposer notre propre diplôme qui sera un format bachelor ou licence, en trois mois, avec nos propres caractéristiques pédagogiques et de notation. On n’a pas envie de se calquer au diplôme, mais que le diplôme se calque un peu sur nous. J’ai été très réfractaire quand j’ai monté IconoClass au fait de délivrer un diplôme parce que je voulais prouver qu’une école efficace amenait à un poste et que ce n’était pas le diplôme qui amenait à un travail. C’était vraiment mon combat et ça le restera pour toujours. Nous avons quasiment 1 000 personnes qui sont sorties de l’école et 98 % de ces personnes ont trouvé un travail.
Aujourd’hui, l’école forme à des métiers qui ne sont pas en pénurie. On se retrouve avec 100 personnes qui veulent un travail mais où il ne reste que deux places. Il y aurait peut-être un nouveau pont à créer avec Pôle emploi ou l’Etat, pour indiquer aux écoles l’état du marché, le nombre d’élèves qu’ils manquent sur tels métiers… Les écoles devraient adapter aussi leurs programmes par rapport aux professions en tension.
Aujourd’hui, entre chaque promo, on revoit notre programme, pour être sûrs qu’il colle à ce dont les entreprises auront besoin demain. Le rôle de l’école est aussi de s’adapter au marché du travail et pas seulement l’inverse. Il faudrait que les jeunes en amont soient au courant de tous les métiers qui peuvent exister et qui sont en pénurie.
Est-ce que les compétences pratiques, c’est l’avenir de l’enseignement supérieur ?
Marie Taquet : J’ai le sentiment que les entreprises ont plus que jamais besoin de profils qui soient opérationnels dès le jour un. À l’ère des startup, on voit des boîtes qui vivre ou mourir en trois ans. En cinq ans, on a besoin de personnes qui sont à fond dès le jour un, qui connaissent le métier, qui savent ce qu’ils vont faire. Pourquoi on pense que la théorie est si importante ? Le cerveau est fait pour répéter une action et c’est comme ça. Le cerveau a besoin d’être en action. […] Je ne crois pas aux compétences généralistes. C’est important de comprendre l’entreprise dans sa globalité, mais je ne vois pas pourquoi on essaie de tout faire rentrer dans le cerveau des jeunes à l’école. Je crois vraiment à un apprentissage spécifique, quitte à apprendre plusieurs métiers plusieurs fois dans sa vie.
Quelle est selon vous la mission fondamentale de l’éducation ?
Marie Taquet : L’école doit amener une sorte de quête d’identité. C’est un endroit où on va avoir des relations sociales et où on apprend de soi-même en ayant des relations sociales. Quand on passe sur le marché du travail, on a un rapport avec l’autorité, comme à l’école. C’est pour cela aussi qu’il y a des jeunes qui ont envie de devenir entrepreneurs, d’être libres. Même si l’autorité en entrepreneuriat s’illustre par les investisseurs ou les clients. Ensuite on se confronte au savoir, qui est aussi dans la quête de son identité, on apprend des choses, on voit ce qui nous plaît et ce qui nous plaît moins. L’école du supérieur devrait se concentrer sur le fait de trouver son orientation professionnelle à court terme, pas forcément sur le long terme.
Quelles sont les compétences devenues cruciales aujourd’hui pour un jeune ou moins jeune qui arrive dans le monde du travail ?
Marie Taquet : La première compétence est d’apprendre à se connaître. Être en phase avec les choses sur lesquelles on est à l’aise, sur lesquelles on ne l’est pas, ce qu’on n’aime pas faire… Je faisais un petit exercice récemment qui était de prendre ma semaine et de mettre en rouge tous les meetings qui me prenaient beaucoup d’énergie. J’ai souligné en vert les meetings qui me donnaient à l’inverse, de l’énergie, ou d’autres missions. Cela permet de prendre du recul, de recruter des personnes sur des tâches qui prennent trop de temps ou d’énergie. Pour être épanoui, performant, c’est bien de se connaître.
Dans n’importe quel métier, on doit toujours arriver à défendre ses idées […], convaincre les autres. […] Il faut pouvoir rebondir et se dire que ce que l’on apprend aujourd’hui sera peut-être faux demain. Sauf que toutes ces compétences, on ne les apprend pas à l’école aujourd’hui, quand on est jeune. […] Il pourrait y avoir autant d’écoles que de manières d’apprendre, ou que de personnalités. Est-ce qu’on ne pourrait pas essayer de scinder un peu les types d’intelligence et les types de personnalité, de proposer des classes ou des cursus pédagogiques en cette faveur ? […]
Comment voyez-vous l’université de demain ?
Marie Taquet : C’est indispensable de revoir les programmes. Encore une fois, je ne jette pas la pierre aux écoles. Si on fait des changements de compétences, il faut tenir au courant l’organisme qui délivre les diplômes. Cela dit, il y a aussi une manière de faire apprendre les compétences. Les nouvelles technologies, c’est indispensable. Les outils des commerciaux, c’est quelque chose qu’on apprend. Il y a des métiers qui ne sont peut-être pas du tout digitaux mais sur tous les métiers du business, ça me paraît indispensable d’apprendre les outils actuels.
Nous, dans le métier de commercial, il y a un outil qui est hyper important, c’est le CRM. C’est l’endroit où on rentre toutes les informations sur un client. On fait apprendre un CRM à nos apprenants de manière assez profonde, pour qu’ils sachent ce que c’est. Quand ils auront un CRM à utiliser, il y aura des automatismes qui se mettront en place. Les entreprises aujourd’hui ont besoin de personnes qui réfléchissent. […]
Quel est votre souhait concernant l’évolution de l’enseignement supérieur en France dans les prochaines années ?
Marie Taquet : J’aimerais une éducation adaptée au marché du travail et pas l’inverse, qui connaît les grandes tendances. 50 % des métiers de 2050 n’existent pas encore. Les écoles vont forcément devoir s’adapter au marché du travail. Ensuite on devrait rajouter de la pratique, à l’intérieur des cursus de manière générale, ajouter du développement personnel. Avoir des compétences mais aussi se sentir bien, avec le sujet du bien-être au travail. C’est aussi aux patrons d’entreprises d’arriver à mettre un cadre de respect de la vie privée, pour que les salariés soient hyper impliqués et heureux quand ils sont au travail. […] Ce qui est capital pour l’école, c’est qu’elle apprenne comment va se dérouler le travail en entreprise. […]