Bienvenue dans 20 sur 20, le podcast de L’Express Education. Philippine Dolbeau, entrepreneure, conférencière et animatrice télé, y accueille des personnalités du monde de l’éducation, des hommes et des femmes inspirants venus livrer leurs réflexions sur l’école d’aujourd’hui et de demain. Alors, qu’ils soient chercheurs, entrepreneurs de la EdTech, professeurs, parents, politiques ou même philosophes, tous partagent la même volonté de transformer l’éducation et de préparer la nouvelle génération aux défis de demain. Chaque semaine dans 20 sur 20, nous découvrons ces acteurs qui font bouger les lignes de l’éducation.
Dans cet épisode, Philippine Dolbeau rencontre Fanny Demeulder, enseignante et fondatrice de School Up, une initiative qui transforme les pratiques pédagogiques pour mieux répondre aux besoins des élèves et des enseignants. Fanny Demeulder a toujours été fascinée par l’école, après avoir brillé dans le milieu académique, elle a fait un choix audacieux : revenir enseigner dans une école qualifiante où elle a été élève. Son ambition est de réconcilier les élèves avec l’apprentissage, soutenir les enseignants et prouver que l’hétérogénéité en classe peut devenir une force.
Vous avez été marquée par votre relation avec votre grand-mère artiste peintre. Est-ce que ce contexte familial a influencé votre vision de l’école et de l’apprentissage ?
Fanny Demeulder : Je viens d’un milieu ouvrier où l’école n’était certainement pas au centre. Ma mère raconte souvent cette anecdote : j’arrive à l’école et je pleure toutes les larmes de mon corps. Mais, quand elle revient me chercher à midi, je lui dis que je ne veux plus partir. L’école et moi, c’est une grande histoire d’amour, avec sans doute beaucoup de personnes qui m’ont fait grandir et qui m’ont donné le goût de l’apprentissage. Quand je pense à mon parcours scolaire, je pense à de nombreux enseignants pour lesquels j’avais beaucoup d’admiration et qui m’apportaient ce savoir qui me manquait sans doute à la maison. L’école a été pour moi un ascenseur social. […]
Cette passion pour l’éducation a-t-elle évoluée au fil des années ?
Fanny Demeulder : J’étais dans une petite école et je réussissais assez facilement, avec des professeurs qui ont éveillé cette curiosité. […] Ils ont continué à me donner confiance en moi, à me dire que c’était important d’apprendre, parce qu’ils sentaient sans doute le décalage entre mon milieu familial et les capacités que je pouvais montrer. […] Je suis tombée dans l’éducation, presque par hasard. Mon ancien directeur m’a demandé de faire un remplacement d’un an. J’étais à l’époque assistante chargée de cours à l’université. J’avais fait mon agrégation et je me suis lancée. Je me suis alors rendue compte que le système dysfonctionnait. […]
À l’époque, je me demandais quelle était ma valeur ajoutée en tant qu’enseignante. Je voulais sauver mes élèves, avant de sauver l’école. Le défi était de comprendre comment mes élèves apprenaient à apprendre. Si je ne comprenais pas pourquoi ils ne comprenaient pas, je ne pouvais pas les guider. J’ai commencé à travailler sur des projets pilotes, parce qu’il n’y avait pas que les élèves à sauver, il y avait un système à changer. […]
Avec School Up, vous proposez une formation qui transforme les pratiques pédagogiques ?
Fanny Demeulder : La première chose, c’est l’empathie vis-à-vis des enseignants. Je suis devenue formatrice pour aider les élèves et je me suis alors rendue compte que la souffrance des enseignants était criante. Il faut expliquer aux enseignants ce qui se passe, entendre d’abord leur souffrance, mais surtout leur expliquer d’où elle vient.
Quand on est enseignant, on a deux syndromes. Celui du bon élève : on veut cocher toutes les cases. […] Et celui du sauveur : on aime tellement nos élèves que l’on a envie de tous les sauver. Il y a ce sentiment d’impuissance chez les enseignants. […] Aujourd’hui, je vous donne une pierre et une pyrite, je vous demande de faire du feu, personne ne sait le faire. C’est un savoir qui s’est perdu parce qu’on n’en a plus besoin pour survivre. C’est la même chose avec la mémorisation, l’organisation… Les enseignants sont démunis parce qu’on ne leur a pas appris à apprendre cela aux élèves. […]
Vous parlez d’autonomiser les élèves en classe. S’ils le sont à l’extérieur de l’école, ils le sont moins en classe ?
Fanny Demeulder : Les élèves ont beaucoup de droits mais moins de devoirs. […] L’autonomie n’est plus aussi développée. Le téléphone est souvent une béquille à cette incapacité de se prendre en charge. Les enseignants ne peuvent pas être la béquille de chaque élève. Plus vous expliquez, plus vous parlez, plus vous leur tenez la main, moins ils sont capables de faire seuls. […] On est dans une société où on est hyper protecteurs avec les jeunes. Il y a une illusion d’autonomie des jeunes aujourd’hui. […] L’enseignement ne donne pas l’autonomie suffisante pour les apprentissages où à un moment donné, on est seuls face au savoir.
Est-ce que cela nécessite une refonte complète de notre système éducatif ?
Fanny Demeulder : Il faut avoir le souci de la personne, pas de l’individu, sans oublier le collectif. L’école prône le collectif. La première étape est de rendre la classe différentiable, il faut travailler la gestion de classe. On doit outiller les enseignants pour qu’ils gérent le temps, l’espace, le bruit, etc. Il existe des outils très concrets dans la discipline positive ou dans l’enseignement explicite des comportements pour apprendre aux élèves comment se comporter en groupe et expliciter les attendus. La deuxième étape est la pédagogie. Nous allons parler de différenciation parce que les classes sont hétérogènes. […]
Le changement de posture nécessite d’apprendre à parler moins en collectif. Il faut faire le deuil de l’idée qu’être enseignant signifie expliquer, que l’élève va recevoir le savoir en classe et ira apprendre à la maison. Il faut pouvoir dire aux professeurs qu’ils doivent parler moins pendant les temps collectifs (en classe). Pour autant, il ne faut pas remplacer cela par des travaux de groupe et c’est là qu’arrive notre méthodologie.
Comment cela fonctionne concrètement ?
Fanny Demeulder : Nous remplaçons plein de moments ex cathedra par des rituels. On parle des quatre piliers de l’apprentissage. Dans les rituels, on automatise plein de savoirs de base pour arriver à la maîtrise. On est des humains, des êtres d’habitude. Si vous faites des interros surprises vous êtes un méchant prof. Si vous mettez en place un rituel, où à chaque début de cours vous interrogez sur un sujet, les élèves vont le réclamer. On est vraiment dans cette idée d’une méthodologie qui ne révolutionne pas le système mis en place, mais qui permet de le transformer en profondeur.
Est-ce que ça veut dire qu’être enseignant aujourd’hui est plus difficile qu’il y a 30 ans, par exemple ?
Fanny Demeulder : Clairement. Les élèves ont fondamentalement changé et les conditions sont plus difficiles. Dans un système où l’on n’arrête pas de faire des réformes, des décrets, etc, nous sommes noyés dans un top-down. Il n’y a pas de confiance en l’enseignant. On n’a pas de légitimité a priori. Avant, on était l’adulte, donc on avait raison, même quand on avait tort. Avant, on était l’enseignant, on était celui qui savait. Maintenant, il faut presque prouver aux élèves que l’on a raison. Les enseignants sont là-dedans et c’est pour cela qu’ils sont épuisés.
Vous insistez aussi sur l’importance d’outiller les enseignants face au défi du XXIᵉ siècle. Quelles sont les compétences qui manquent à ces jeunes face à eux ?
Fanny Demeulder : L’enseignant du XXIᵉ siècle doit être outillé et a besoin d’autres compétences. Il a besoin de savoir gérer un groupe, de pouvoir s’adresser à des individus en one-to-one. La moitié de notre travail est relationnel, l’autre est dans le contenu. […] Les professeurs sont des experts dans leur savoir, mais ne savent pas comment on apprend. On devrait aider les enseignants à faire apprendre à leurs élèves. C’est un savoir-faire qui leur servira toute leur vie. La dernière chose, c’est un peu lié à notre méthodologie, c’est la pédagogie. Comment je fais apprendre autrement qu’en étant moi aussi en top-down ? C’est-à-dire : je parle, vous écoutez. Comment est-ce qu’on amène les élèves à s’approprier le savoir ? […]
Quel regard portez-vous sur l’orientation en France et sur l’enseignement professionnel ?
Fanny Demeulder : On prend le problème par le mauvais bout. On veut parler d’orientation mais on n’apprend pas aux élèves à être autonomes et à savoir qui ils sont. On est dans un système très normatif. On donne beaucoup d’obligations de moyens et parfois peu d’obligations de résultat. Ils ne permettent pas à l’élève d’apprendre qui il est. Dans notre manière de faire, on va mettre beaucoup de rituels mais aussi du travail en autonomie. Il va falloir poser des objectifs très clairs pour être plus flexible sur les moyens. Les élèves sont alors amenés à découvrir quels sont les chemins qui leur conviennent le mieux.
L’enseignant n’est plus celui qui déverse le savoir, mais devient un architecte qui crée un environnement où l’on peut apprendre. […] L’élève peut alors apprendre à se connaître. Quand on donne des objectifs clairs aux élèves et que l’on crée cet environnement, on va l’accompagner pour qu’il découvre ses besoins. Il découvre ce qu’il aime faire, ce qui n’est pas le cas dans un enseignement traditionnel. […]
Qu’est-ce que vous pensez des outils numériques pour l’apprentissage ?
Fanny Demeulder : Je ne diabolise pas l’intelligence artificielle. On ne doit pas revenir à ce qui existait avant, mais on doit revaloriser le fait qu’on doit apprendre et mémoriser certaines choses pour pouvoir justement aiguiser notre esprit critique ou notre compréhension. Il n’y a pas de compréhension sans savoir de base. Et inversement, on doit comprendre. C’est une boucle vertueuse. Le numérique n’est pas du tout utilisé à bon escient. Il pourrait être un logiciel éducatif, quelque chose qui permet d’avoir un feedback immédiat, devenir un des moteurs les plus puissants de l’apprentissage. À l’école, le feedback est différé. L’outil informatique nous permettrait d’avoir un feedback immédiat.