Sur le papier, l’insertion professionnelle des jeunes diplômés semble encourageante. Selon l’APEC, 62 % d’entre eux trouvent un emploi dans les trois mois, 75 % en six mois et 88 % en un an. Mais la réalité vécue par certains jeunes sonne très différemment : nous sommes allés à leur rencontre.
Jade Milelli est ingénieure et diplômée en biotechnologie. Elle cherche son premier job depuis un an, sans succès : 131 candidatures au compteur pour un seul entretien. « J’ai un an entier de stage derrière moi, mais on ne le compte pas comme de l’expérience », confie-t-elle, découragée. Même constat pour Théo, diplômé en communication : 250 candidatures en 6 mois, 7 entretiens, des refus souvent automatisés et un retour forcé chez ses parents, faute de moyens.
Ces jeunes font face à un paradoxe : les recruteurs exigent plusieurs années d’expérience pour un poste junior. Pour Gaël Chatelain-Berry, fondateur d’Happy Work, cette logique est un mal typiquement français : « En France, on adore les silos. On préfère recruter quelqu’un qui a déjà eu exactement le même poste ailleurs, plutôt que de le former ».
Côté recruteurs : des filtres drastiques et une peur du risque
L’automatisation du recrutement complique encore la donne. De nombreuses entreprises utilisent des ATS (Applicant Tracking Systems) qui filtrent les candidatures en fonction de mots-clés et de l’expérience. Delphine Penalva, directrice Talent et Culture chez Dusens Group, témoigne : « Nous n’avons pas d’ATS et je lis personnellement toutes les candidatures. Mais la majorité des recruteurs passent par ces systèmes, qui filtrent massivement et ne prévoient pas toujours un paramètrage de retour aux candidats ». Résultat : 80 % des candidatures ne reçoivent aucune réponse ou des refus copiés-collés, « qui sont très difficiles à vivre pour tout le monde ».
Outre ce filtre technologique, la peur de l’erreur est omniprésente. « Un recrutement raté peut coûter l’équivalent d’une année de salaire », rappelle Delphine Penalva. Dans un contexte économique incertain, beaucoup d’entreprises se tournent vers des candidats qui affichent déjà une solide expérience. Pour Marine Péron, responsable recrutement chez Welcome to the Jungle, ce choix est aussi une question d’organisation : « Recruter un junior, c’est accepter de l’accompagner et de l’intégrer pleinement. Toutes les entreprises ne sont pas prêtes à le faire ».
L’alternance et les stages des étudiants : une expérience sous-estimée
Le décalage est encore plus frappant quand les jeunes diplômés découvrent que leurs années d’alternance ne sont pas toujours comptabilisées. Delphine Penalva dénonce cette approche : « Si on ne reconnaît pas l’alternance comme une expérience, alors à quoi bon la proposer ? ». Dans son entreprise, les alternants ont des objectifs et des missions proches de celles d’un salarié classique. Pourtant, beaucoup de recruteurs considèrent ces expériences comme insuffisantes.
Théo en a fait l’expérience : avec trois ans d’alternance en communication, il s’est vu refuser des postes au motif qu’il lui manquait des années d’expérience. « On nous demande cinq ans d’expérience pour un poste junior, c’est absurde », soupire-t-il.
Comment sortir de l’impasse ?
Si la responsabilité incombe en partie aux entreprises, les jeunes doivent aussi adapter leurs stratégies. Se limiter aux candidatures par annonces est une erreur selon Gaël Chatelain-Berry, qui cite une étude Ipsos : « Les candidatures spontanées ont 33 % de chances de réussir, contre 26 % pour les annonces. »
Il recommande également de cultiver son réseau : « Un ancien tuteur de stage, un prof, un ex-collègue peuvent ouvrir des portes ». Delphine Penalva insiste de son côté sur l’importance de la personnalisation des candidatures : « Un recruteur passe en moyenne 30 secondes sur un CV. Il faut capter son attention immédiatement ». Il faut donc retravailler son CV en fonction de chaque offre, avec l’intitulé du poste bien visible. « Je conseille toujours aux jeunes que j’accompagne d’éviter les listes génériques de missions vues et revues. Les jeunes diplômés ont quasi tous les mêmes compétences en sortie d’école, il faut valoriser le concret ». Un exemple pour un CV d’attachée de presse : indiquer « Organisation d’une conférence de presse réunissant 500 journalistes », plutôt que « Rédaction de communiqués de presse ».
Marketing de soi : la stratégie LinkedIn de Chloé, un modèle à suivre
Face à ces difficultés, certains jeunes tentent d’autres approches. Chloé, diplômée en communication et entrepreneuriat, a transformé sa recherche d’emploi en un cas d’école de marketing de soi. Après neuf mois de recherche infructueuse, elle a publié un post LinkedIn sincère, racontant son parcours et demandant de l’aide. Résultat : 400 000 vues et 10 offres d’emploi en une semaine.
« Je n’avais rien à perdre à l’exception de cette petite humiliation de dire publiquement que je ne trouvais pas de travail », explique-t-elle. En amont, elle a pris soin d’optimiser la portée de son message : choix du bon timing (mardi matin), ton positif, appel à la solidarité professionnelle. Elle y découvre une réalité de marché insoupçonnée : « Beaucoup d’offres que j’ai reçues émanaient de professionnels qui pensaient à recruter sans avoir posté d’annonce ». Autrement dit, elle a accédé à un marché de l’emploi invisible.
Marine Péron confirme que LinkedIn est devenu un outil chez Welcome to the Jungle : « Aujourd’hui, on avance avec des candidats qui n’ont parfois même pas envoyé de CV classique. Leur profil LinkedIn suffit ».
Valoriser les soft skills et expériences extra-professionnelles lors de sa recherche
Dans un marché saturé, la différence peut aussi se jouer sur des compétences comportementales (soft skills) et des expériences hors cadre académique. Marine Péron insiste sur ce point : « Les recruteurs cherchent des candidats qui savent s’adapter, collaborer et prendre des initiatives. Il ne faut pas hésiter à valoriser ses engagements associatifs, sportifs ou bénévoles ».
Delphine Penalva illustre cette idée avec l’exemple frappant d’une jeune femme développeuse et pompier volontaire. Elle n’avait pas mentionné cette expérience sur son CV. Pourtant, c’était un atout considérable. « Pompier volontaire, c’est le sens du collectif, de la responsabilité, de la gestion du stress. J’ai dû être celle qui lui a fait remarquer que cette expérience devait figurer dans son CV ! Elle m’a répondu qu’elle n’avait pas osé, pensant que cela n’avait rien à voir avec son métier. Or, c’est précisément ce genre d’engagement qui nous intéresse. »
Ce type d’expérience révèle la personnalité d’un candidat et ses capacités réelles à évoluer dans un environnement exigeant. Trop souvent, les jeunes diplômés sous-estiment l’importance de ces éléments dans leur candidature.
Reconstruire la relation écoles-entreprises-diplômés
Pour sortir de cette impasse, il est urgent de revoir la relation écoles-entreprises-diplômés. L’alternance doit être pleinement reconnue comme une expérience à part entière, les jeunes doivent s’approprier des stratégies modernes de recherche de premier emploi, et les écoles leur apprendre à se démarquer. Car comme l’a montré Chloé, la différence peut se jouer en un post LinkedIn bien pensé.
Mais au-delà des outils et des stratégies, il ne faut pas minimiser l’impact psychologique d’une recherche d’emploi qui s’éternise. Jade Milelli illustre ce découragement : « C’est de plus en plus difficile de continuer à envoyer des candidatures, de revoir sans cesse mon CV, de rédiger des lettres de motivation qui ne seront même pas lues. J’ai l’impression d’être invisible, incompétente. » Elle a même tenté de trouver un travail alimentaire pour subvenir à ses besoins en attendant, mais se heurte cette fois à un autre problème : on lui répond qu’elle est surdiplômée.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Expérience exigée, poste refusé, l’impasse des jeunes diplômés pour trouver leur premier emploi.
Pessimisme et difficulté d’insertion : Bien que des statistiques montrent que 62 % des jeunes diplômés trouvent un premier emploi dans les trois mois, de nombreux diplômés comme Jade et Théo rencontrent des difficultés. Jade a soumis 131 candidatures pour un seul entretien, ce qui illustre un profond sentiment d’angoisse et de découragement.
Exigences irréalistes des recruteurs : Les recruteurs demandent souvent plusieurs années d’expérience pour des postes juniors, ce qui complique la recherche du premier emploi pour les jeunes. La peur de l’erreur dans le recrutement pousse de nombreuses entreprises à privilégier des profils expérimentés, reflétant une réticence à intégrer des juniors.
Valeur de l’alternance sous-estimée : L’alternance, bien que bénéfique, est souvent mal perçue par les recruteurs, qui ne prennent pas toujours en compte cette expérience dans leur évaluation. Les étudiants comme Théo constatent que leur expérience en alternance est fréquemment jugée insuffisante pour les postes qu’ils visent.
Besoin de nouvelles stratégies de recherche : Les étudiants sont encouragés à diversifier leurs approches de candidature. Les candidatures spontanées ont un taux de réussite de 33 %, supérieur aux candidatures classiques. Renforcer son réseau et personnaliser chaque candidature sont des astuces pour capter l’attention des recruteurs.
Valorisation des compétences non académiques : Les compétences comportementales (soft skills) et les expériences extra-professionnelles sont de plus en plus valorisées par les recruteurs. Les candidats doivent mettre en avant leurs engagements associatifs ou sportifs qui démontrent des qualités telles que l’empathie et le travail en équipe, cruciaux pour se démarquer dans un marché concurrentiel.