Dans l’ombre, ils traquent les criminels du numérique, remontent des flux financiers obscurs et infiltrent les réseaux les plus sécurisés. Mais qui sont vraiment les cybergendarmes ? Derrière cet intitulé se cache un métier hybride, entre terrain et investigation numérique, où l’adrénaline des enquêtes côtoie l’exigence technique.
Lorsqu’à 21 ans, après deux années d’études en droit, la Lieutenant-Colonelle Émilie Mercier intègre l’école des sous-officiers de la gendarmerie, elle sait qu’elle cherche plus qu’un travail bureaucratique. « J’ai toujours eu envie de faire du droit, mais je me suis rapidement dit que j’allais m’ennuyer dans les métiers de magistrat ou de greffier. J’ai un caractère très dynamique », confie-t-elle. Nous sommes venus à sa rencontre dans les locaux de la Direction générale de la gendarmerie nationale.
Vingt-trois ans plus tard, elle est devenue l’un des visages incarnant la lutte contre la cybercriminalité au sein du ComCyberGend, supervisant des enquêtes qui mènent parfois aux quatre coins du globe. Son parcours incarne l’exigence et la passion de ce métier, encore peu connu.
Quelle formation pour devenir cyber-gendarme ?
La gendarmerie recrute à différents niveaux, du bac jusqu’à bac +5, en fonction des ambitions et des compétences. « Si on veut entrer comme sous-officier, on peut le faire dès le bac, quelle que soit la filière », explique Émilie Mercier. Les concours d’officiers, eux, sont accessibles aux titulaires d’un bac +5 et attirent des profils variés : juristes en droit du numérique, ingénieurs en cybersécurité, analystes en informatique.
« Nous recrutons aussi des experts directement issus du monde professionnel, ainsi que des réservistes spécialistes. » Les concours, eux, restent sélectifs. « Il faut passer des épreuves écrites (commentaire de texte, sujet de culture générale), physiques, orales et psychotechniques. Il y a également un test d’évaluation numérique, qui n’est pas éliminatoire, afin de déterminer si on vous affecte dans une e-compagnie parce que vous avez déjà des compétences. »
Les cyber-réservistes
La réserve opérationnelle est une porte d’entrée idéale pour découvrir le métier de gendarme tout en poursuivant ses études ou sa vie civile. Accessible dès 18 ans, elle permet aux jeunes de s’engager temporairement, notamment pendant les vacances scolaires, en intégrant une brigade locale. Après une candidature et une formation de base, les réservistes participent à des missions encadrées.
Dans le domaine du cyber, plus de 500 réservistes renforcent déjà les enquêtes numériques. « C’est un excellent moyen de tester avant de s’engager pleinement dans la carrière. On peut voir si le métier nous plaît sans avoir à prendre une décision définitive immédiatement », souligne la Lieutenant-Colonelle Mercier. Cette expérience rémunérée, semblable au volontariat des pompiers, est une sorte de stage d’immersion : « Je le conseille vivement : pour embrasser une carrière, il est essentiel de se confronter rapidement à la réalité du terrain. »
Enquêtes et interventions : le quotidien d’un cybergendarme sur le terrain
Les cybergendarmes ne se contentent pas d’éplucher des lignes de code dans un bureau sombre. « On est sur le terrain, on accueille les victimes, on participe aux perquisitions et on anime des actions de prévention et de gestion de crise », affirme Émilie Mercier. Le cyberespace est aujourd’hui un territoire à part entière pour la gendarmerie, au même titre que l’espace physique. « On sécurise le numérique comme on le fait pour nos routes et nos villes ».
Certaines affaires marquent une carrière. « L’opération EncroChat, où nos experts ont infiltré une messagerie utilisée par le crime organisé, a été une victoire décisive : cette action judiciaire internationale a permis d’intercepter 115 millions de “conversations criminelles”, d’empêcher des centaines d’assassinats, de démanteler des réseaux de trafic d’êtres humains, de drogue, d’argent, et de partager ces informations avec nos homologues étrangers. » EncroChat marque l’un des plus grands coups portés contre la criminalité organisée par les forces de l’ordre européennes. Plus récemment, c’est l’affaire Ledger qui a mobilisé l’ensemble de la gendarmerie, dont l’Unité nationale Cyber. « Notre rôle a été de remonter les flux financiers pour identifier les coupables et saisir les fonds en cryptoactifs de la rançon ».
Les cyber-enquêteurs sont déployés sur le terrain, collectent des preuves, analysent des dispositifs et interviennent pour démanteler des réseaux criminels. Leur mission première ? Préserver et exploiter la preuve numérique, au même titre qu’un enquêteur classique traite une scène de crime physique.

Un métier de gendarmerie en constante mutation
Avec la digitalisation, la cybercriminalité devient une menace omniprésente. Ransomwares, phishing sophistiqué, attaques sur les infrastructures critiques… Les défis sont innombrables. « Nous devons constamment nous former et anticiper les menaces à venir. Celui qui ne se met pas à jour devient vite obsolète », avertit Émilie Mercier.
Le numérique transforme aussi bien la grande criminalité que la délinquance quotidienne. « Aujourd’hui, les outils numériques sont dans toutes les affaires : dans le cyberharcèlement, les trafics en ligne ou encore la fraude financière. Ce qui relevait autrefois d’un savoir-faire technique complexe est désormais accessible à des délinquants de tout niveau. Connaître son adversaire, c’est la base de toute enquête efficace », résume Émilie Mercier. La formation continue et la veille technologique sont donc essentielles pour garder une longueur d’avance dans cette lutte où chaque nouvelle technologie peut être détournée à des fins criminelles.
L’avenir du métier repose aussi sur la diversité des profils. « Ce n’est pas qu’un métier de geek en sweat à capuche. Nous avons des juristes, des experts en blockchain, des analystes en renseignement, et de plus en plus de femmes », insiste-t-elle. Aujourd’hui, la gendarmerie compte environ 25 % de femmes dans ses rangs, et ce chiffre est en progression.
Enfin, l’idée d’un travail solitaire est à nuancer. « Nous coopérons en permanence, que ce soit avec des magistrats, des experts internationaux ou d’autres forces de sécurité ». Cette dimension humaine et collaborative fait du cyber un secteur stratégique où les profils curieux, rigoureux et engagés trouvent toute leur place.
Un engagement récompensé
Les perspectives d’évolution sont nombreuses. « Quand on s’investit, on progresse. Je suis entrée dans la carrière par la petite porte et aujourd’hui, je suis lieutenant-colonelle », résume Émilie Mercier. L’effort et la formation sont récompensés par de belles perspectives de carrières et une reconnaissance grandissante de la spécialité cyber. Mais la gendarmerie offre surtout de vastes opportunités de mobilité, avec des changements de poste tous les 4 ou 5 ans. Pour ceux à qui la routine ferait peur, c’est idéal.
Côté rémunération, un sous-officier débute autour de 2 000 euros nets, avec des primes et des avantages comme le logement de fonction, 9 semaines de congés payés, 75 % de réduction sur le tarif SNCF. Un officier supérieur peut quant à lui atteindre les 5 000 euros net de rémunération mensuelle.
Cybergendarme, ce métier est fait pour vous si…
« Ceux qui veulent s’engager dans un métier qui a du sens, qui sont curieux, qui aiment l’enquête et l’analyse, trouveront leur place ici », assure Émilie Mercier. Les cybergendarmes sont avant tout des “cyber-soldats de la loi”, capables de traquer les criminels sur tous les fronts, numériques ou physiques.
Cet engagement demande aussi une certaine mobilité géographique. « Si vous ne souhaitez pas bouger au cours de votre carrière, ce métier risque en revanche de ne pas vous convenir », prévient-elle. Sans exiger de déménagements constants, la gendarmerie valorise les expériences variées, encourageant ses membres à évoluer d’une unité à une autre pour maintenir leur efficacité et apporter un regard neuf aux équipes. Cette diversité d’affectations est une force : elle permet d’éviter la routine et de sans cesse renouveler sa manière de travailler. « Chaque jour est différent, on ne sait jamais ce qui nous attend. C’est un métier où l’événement commande, où l’adrénaline et le sens de l’action sont des moteurs essentiels », ajoute Émilie Mercier.
« Face à une cybercriminalité en constante évolution, la gendarmerie fait front aujourd’hui et se prépare à l’avenir. Les besoins en recrutement ne cessent d’augmenter. Nous cherchons et formons en permanence de nouveaux talents », conclut la Lieutenant Colonelle Mercier.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Devenir cybergendarme, en première ligne contre le crime numérique.
Rôle innovant des cybergendarmes : Les cybergendarmes combinent plusieurs missions d’enquête sur le terrain et d’investigation numérique. Ils traquent les cybercriminels, participent à des perquisitions et offrent des actions de prévention pour sécuriser le cyberespace.
Cheminement de carrière diversifié : La gendarmerie nationale recrute des candidats à tous niveaux, du bac à bac+5. Les candidats peuvent venir de différents horizons, y compris des juristes et des ingénieurs, et des réservistes peuvent tester la profession avant de s’engager pleinement.
Évolution constante due à la cybercriminalité : Les cybergendarmes doivent se former en continu pour faire face à la montée des cybermenaces, telles que le ransomware et le phishing. Leur travail exige une adaptation aux nouveaux outils et techniques utilisés par les criminels.
Perspectives de carrière et rémunération : Les cybergendarmes ont de vastes opportunités de mobilité et d’évolution, avec des salaires débutant à 2 000 euros nets pour les sous-officiers et allant jusqu’à 5 000 euros pour les officiers expérimentés. L’engagement est récompensé par des promotions et des primes.
Profil recherché : Les candidats idéaux sont curieux, aiment l’analyse et ont un sens de l’engagement. Les cybergendarmes doivent être prêts à évoluer géographiquement et apprécier un métier dynamique, où chaque jour apporte de nouveaux défis.