Bienvenue dans 20 sur 20, le podcast de L’Express Education. Philippine Dolbeau, entrepreneure, conférencière et animatrice télé, y accueille des personnalités du monde de l’éducation, des hommes et des femmes inspirants venus livrer leurs réflexions sur l’école d’aujourd’hui et de demain. Alors, qu’ils soient chercheurs, entrepreneurs de la EdTech, professeurs, parents, politiques ou même philosophes, tous partagent la même volonté de transformer l’éducation et de préparer la nouvelle génération aux défis de demain. Chaque semaine dans 20 sur 20, nous découvrons ces acteurs qui font bouger les lignes de l’éducation.
Dans cet épisode, Philippine Dolbeau rencontre Alain Asquin, coordinateur national du plan “L’esprit d’entreprendre” au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Alain Asquin a joué un rôle clé dans la promotion de l’entrepreneuriat au sein des écoles et des universités, en soutenant les jeunes talents dans leur quête d’innovation et d’autonomie professionnelle, fort d’une riche expérience en tant qu’enseignant, chercheur et responsable de programmes Entrepreneuriat.
Pour vous, entreprendre ce n’est pas juste créer une startup, alors qu’est-ce que c’est ?
Alain Asquin : Entreprendre, c’est un processus de création de valeur qui peut s’incarner dans une création d’entreprise et pas forcément dans une startup. C’est créer de la valeur et l’incarner par une entreprise, une association, etc … C’est aussi la création d’une organisation, car il faut pouvoir porter cette valeur. La capacité à s’organiser dans l’entrepreneuriat est fondamentale et dépend de la compétence organisationnelle de fédérer des ressources, de mettre un ordre aux choses et de distiller le travail dans le temps. Un entrepreneur comprend progressivement, avec de la maturité, qu’il doit prioriser. Entreprendre, c’est s’engager dans un chemin sinueux. Un entrepreneur c’est quelqu’un qui chemine dans la contradiction. […]
Est-ce que c’est une idée que vous essayez de transmettre aux jeunes étudiants que vous avez en charge ?
Alain Asquin : On essaie de développer ces idées par les formations d’entrepreneuriat. Nous avons aussi des pôles particuliers, créés en 2014, appelés les pôles « pépites ». Ces pôles ont été créés afin. de développer des ressources pédagogiques, des méthodologies et des processus pour appuyer l’action des établissements dans le domaine de l’entrepreneuriat. Ces pôles, labellisés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, portent le Statut National d’Étudiant-Entrepreneur. Un statut accordé aux étudiants qui portent un projet.
Pour obtenir ce statut, on va retenir des étudiants qui ont montré une appétence entrepreneuriale. […] On va dénicher des talents que l’on va aider. On nourrit ensuite les écosystèmes qui peuvent être les incubateurs d’écoles et les incubateurs labellisés par le ministère, les acteurs du territoire qui aident à l’entrepreneuriat, etc. […] Les jeunes des pôles pépites sont accompagnés par les équipes pédagogiques. Des mentors sont présents, ce sont souvent des chefs d’entreprise, et partagent leurs expériences, afin d’aider les jeunes à décortiquer ces sentiments mêlés qu’eux-mêmes ont pu vivre en tant qu’entrepreneur. […]
Est ce qu’aujourd’hui vous arrivez à établir le profil de l’étudiant-entrepreneur type ?
Alain Asquin : Nous avons 25 % des étudiants-entrepreneurs qui sortent de formation d’ingénieur. Comme les formations d’ingénieurs sont elles-même plutôt masculines, on va avoir une prévalence de garçons dans l’entrepreneuriat. Pourquoi les étudiants viennent beaucoup d’écoles d’ingénieurs ? Parce que dans la notion d’entrepreneuriat, il y a celle de l’innovation et des technologies. Concernant les autres étudiants, ils ont suivi des formations en économie, gestion, droit, etc : des formations prédisposées. Le combat à mener était surtout de faire remonter d’autres types de formation, notamment en sciences humaines.
Avec la prise de conscience majeure des enjeux environnementaux et sociétaux, les formes d’entrepreneuriat ont beaucoup évolué. L’engagement est devenu une dominante forte dans l’action des jeunes générations. […] Les sciences humaines aujourd’hui sont très sollicitées au travers des changements, des usages et des comportements. Le numérique a permis aussi à plus de jeunes d’entreprendre, même ceux qui possèdent des ressources plus limitées. L’IA devient aujourd’hui un outil qui engendre une révolution décisive. […] Nous aidons ces jeunes à tirer parti de ces avantages, on les met à l’aise et on leur donne les outils d’accompagnement.
Comment l’enseignement supérieur peut faire pour mieux intégrer l’entrepreneuriat dans ses programmes ?
Alain Asquin : Tant que nous serons dans des programmes spécialisés en entrepreneuriat, on va avoir un problème de limitation. On voit aujourd’hui l’entrepreneur comme une fin. […] C’est un point qui n’est pas simple, notamment en termes de certification professionnelle. Le deuxième point, c’est de se dire qu’entreprendre est une manière d’agir dans un processus de projet complexe qui vous permet de créer une valeur maîtrisée pour délivrer un service. Vous avez le statut d’entrepreneur parce que vous agissez de manière entrepreneuriale.
Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est que l’on puisse avoir un propos entrepreneurial dans tous les domaines. […] Il y a plein de personnes qui n’imaginent pas qu’elles vont finalement entreprendre dans leur métier. Il faut absolument que leur formation intègre des propositions en entrepreneuriat. […] Il faut les outiller simplement et valoriser ce concept d’entrepreneuriat et le démystifier.
La nouvelle génération n’a plus envie d’un salariat et de passer 20 ans dans la même boîte ?
Alain Asquin : Les jeunes que je rencontre sont intéressés par cette vie accélérée, plus aventureuse et professionnelle. Avoir un travail cyclique, récurrent, cela ne les passionnera pas. Par contre, il faut absolument réveiller l’idée que l’on peut entreprendre en entreprise. Nous développons d’autres formes d’accompagnement et d’outils. On peut vivre une aventure entrepreneuriale dans une organisation, une entreprise, une administration, une association. Il faut dire aux jeunes qu’ils peuvent vivre cette expérience au sein de plusieurs contextes, y compris d’entreprise. Par contre, il est indéniable que l’entreprise qui ne propose pas cette dynamique, va avoir du mal à recruter. […]
J’ai eu la chance de diriger un programme d’entrepreneurs dans lequel on avait des intrapreneurs et des entrepreneurs. Il n’était pas rare que les intrapreneurs deviennent entrepreneurs et qu’un entrepreneur qui arrête son projet passe intrapreneur, etc. […] Chacun doit trouver un chemin en fonction de qui il est. […]
L’entrepreneuriat peut-il rimer avec échec ?
Alain Asquin : On se relève, on progresse et on apprend. L’échec n’est pas simple à vivre sur le moment. Nous essayons donc de valoriser la démarche entrepreneuriale. Je souhaite réfléchir à la manière d’accompagner les jeunes qui ont entrepris et qui se sont arrêtés. L’échec n’est pas une fin, il faut relativiser et l’intégrer comme une des variantes de son projet.
Il vaut mieux arrêter tôt un projet qui ne va pas dans le bon sens plutôt que d’aller trop loin. […] Il ne faut pas sous-estimer ce que vivent les entrepreneurs. Les jeunes que l’on accompagne sont des adultes qui s’engagent parce qu’ils ont une envie. Nous les accompagnons pour sécuriser ce parcours. Le rôle que nous avons, vis-à-vis de l’échec, c’est que nous créons des processus de prise en charge progressive de ces risques. […] Cela rejoint l’idée de l’écoute active. Considérer que la personne qui est en face de vous a les ressources pour résoudre son problème. Vous êtes là pour l’aider à le formaliser, mais elle règlera cela par elle-même. […] On dit qu’un entrepreneur vit sept fois plus vite sa vie car plein d’événements vont lui arriver.
Est-ce que l’entrepreneuriat est fait pour tous les jeunes ?
Alain Asquin : Il n’y a pas de raison qu’un jeune ne puisse pas accéder à l’entrepreneuriat. S’il a envie d’agir de manière efficace sur le monde qui l’entoure, c’est une manière de partir d’une idée et de la concrétiser. […] Vous n’avez jamais assez de ressources de toute façon. Si les jeunes ont une envie, une appétence d’aller intervenir, de créer une certaine valeur, une proposition auprès d’un public, ils ont probablement besoin d’entrepreneuriat. Le mot lui-même porte parfois des préjugés. Alors on parle de créativité, on parle de plein de choses… […]
Le système d’étudiant-entrepreneur est-il compatible avec tous types d’études ?
Alain Asquin : Il y a des conditions. Il faudrait des études qui soient réalisées avec plus d’autoformation. Le programme universitaire pourrait intégrer dans ces espaces des temps de réflexion sur un projet. Nous avons mis en place un dispositif qui permet de travailler en termes de sensibilisation ou de découverte de l’entrepreneur sans forcément porter un projet. La créativité n’est pas quelque chose qui tombe du ciel, il y a des méthodes. Nous disons deux choses à nos étudiants qui ont envie d’entreprendre. Si dans leurs études il y a des césures, il faut les utiliser afin de poser le sujet de leur projet entrepreneurial et le mener avec un statut national étudiant-entrepreneur. Le deuxième élément est notre diplôme d’étudiant-entrepreneur, qui est créé pour les étudiants qui auraient déjà essayé l’entrepreneuriat, mais sans pouvoir y consacrer suffisamment de temps pendant leurs études. […]
Ceux qui ont de la chance vont pouvoir façonner des projets seul ou en équipe. La césure est un accélérateur incroyable de maturité, dans la relation à l’enseignement et aux connaissances. Avec une césure, on prend conscience de pourquoi on réapprend, pourquoi on a besoin de ces connaissances. L’entrepreneuriat fait prendre conscience des problèmes que vous devez résoudre et des connaissances dont vous avez besoin. Le professeur n’est plus celui qui va délivrer une connaissance mais va devenir un recours face à une difficulté.
Quel est votre rêve pour l’avenir de l’entrepreneuriat étudiant en France ?
Alain Asquin : J’aimerais aller plus loin dans les territoires, aller dans toutes les villes universitaires de France et permettre à des jeunes d’entreprendre. […] Aujourd’hui nous possédons 32 pôles pépites. […] J’aimerais aussi faire reconnaître l’intrapreneuriat comme étant une forme à part entière d’entrepreneuriat, nourrir les PME des territoires et les aider à passer des caps d’innovation. […] La création de valeur d’un territoire crée de la richesse locale et redynamise les PME. […] La révolution que nous avons connu dans l’enseignement supérieur par l’entrepreneuriat, j’aimerais qu’on puisse la voir aussi dans le secondaire.
Il faut faire intervenir des entrepreneurs dans les écoles. […] L’entrepreneuriat doit aussi se diffuser dans d’autres pays. On a beaucoup accompagné des pays de la francophonie à partager l’expérience. […] On veut développer des relations plus renforcées avec l’Europe, pour que nos jeunes possèdent davantage de culture internationale. On est un continent avec des cultures très variées. Il faut qu’on puisse montrer qu’un Néerlandais ou qu’un Allemand ne vont pas forcément penser l’entreprise de la même manière. Il faut faire se rencontrer des professeurs, des institutions et des étudiants.