Comme de nombreux professionnels, de plus en plus de graphistes incluent progressivement l’intelligence artificielle (IA) dans leur travail. Mais représente-t-elle une menace pour leur métier ? Éléments de réponse.
Une alliée plutôt qu’un danger. Gaëtan Lacombe, graphiste de 34 ans, a déjà largement intégré l’intelligence artificielle (IA) dans son travail. Avec, à la clé, un gain de temps non négligeable, assure le jeune homme.
« L’IA me permet de créer des choses complexes, lors de l’élaboration d’une affiche pour une campagne publicitaire par exemple, sans avoir à faire tout le montage. Cela m’aide dans la recherche de visuel au départ, puis pour le photomontage. Je peux le faire plus rapidement, ce qui coûte également moins cher à l’entreprise pour laquelle je travaille », explique-t-il. Le graphiste a été embauché en mai 2021 par un casinotier, après avoir exercé en tant qu’autoentrepreneur la majorité de sa carrière, débutée en 2012.
L’importance de la post-production
L’intervention humaine reste cependant primordiale. « Le résultat est très bien. Mais il y a quand même beaucoup de travail de post-production derrière, souligne Gaëtan. Mon travail ne consiste évidemment pas à simplement aller sur Midjourney ou ChatGPT (programmes d’intelligence artificielle générative, ndlr) pour générer un visuel. Je dois le découper, créer un fond, produire d’autres éléments… Puis j’assemble le tout. Je ne créé pas une image toute faite ».
« Certains éléments sont compliqués à trouver dans les banques d’images, qui ne proposent pas toujours ce que je recherche, ajoute-t-il. Avec l’IA, je n’ai plus à chercher un visuel sur des dizaines de pages, je peux le créer directement, en fonction de ce que je souhaite obtenir ».
Loïc Boulanger, graphiste indépendant de 36 ans spécialisé dans la création de site internet, utilise quant à lui « très rarement » des outils d’IA. « Je m’en suis déjà servi via Photoshop, pour retoucher des photos ou agrandir une image par exemple. Mais jamais pour un produit fini », précise-t-il.
« La sensibilité humaine est indispensable pour créer une identité visuelle »
Un graphiste peut également être amené à créer l’identité visuelle d’une entreprise, soit « tout ce qui permet à une marque ou une société d’être reconnue au premier coup d’œil », explique Gaëtan. Cette « carte d’identité » comprend notamment le logo, les couleurs, ou encore la typographie. « On peut la comparer à une boîte à outils dans laquelle on vient piocher pour créer des concepts, des visuels ». Une tâche conséquente, qui nécessite « une sensibilité humaine indispensable », estime le trentenaire. Et ce, « malgré les progrès que fait et va faire l’IA », assure-t-il. « L’identité visuelle doit visuellement refléter les valeurs de l’entreprise. Même si l’on essaie d’expliquer son histoire à une IA, elle n’arrivera pas à la retranscrire comme peut le faire l’humain ».
Un avis partagé par Loïc. « Une identité visuelle, c’est avant tout beaucoup de recherche, d’analyse. Il y a une phase importante de compréhension du client, de son environnement, de là où il souhaite aller. Ce qui demande de nombreux échanges, d’humain à humain, en début de mission, mais aussi tout au long du projet, pour apporter des ajustements. Je ne pense pas que l’IA soit capable de lire entre les lignes, d’interpréter certaines subtilités ».
« L’IA pioche dans une énorme bibliothèque composée de modèles qu’elle connaît déjà, souligne également Gaëtan. Tout ce qu’elle propose est en quelque sorte recyclé. De fait, je pense qu’elle ne pourra jamais créer quelque chose de totalement novateur, et par conséquent, une identité visuelle unique ».
« Je ne me sens pas menacé par l’IA »
Le jeune homme se veut serein. « Je ne me sens pas menacé par l’IA, affirme-t-il. Il y aura forcément des personnes, comme des associations ou un artisan par exemple, qui vont créer leurs visuels eux-mêmes grâce à ces outils. Mais ce n’est pas un phénomène nouveau. Il y a quelques années, ce même artisan aurait demandé à quelqu’un de son entourage qui sait un peu dessiner de lui donner un coup de main. Ça a toujours existé ».
Les plus grandes entreprises, elles, feront encore appel à un professionnel pour se démarquer de leurs concurrents, selon Gaëtan. « C’est pour cela qu’un graphiste et un directeur artistique seront toujours importants dans le processus de création », ajoute-t-il.
Loïc, lui, est moins optimiste. Il est notamment persuadé que « beaucoup de chefs de projet d’agence utiliseront des outils d’IA qui remplaceront [son] travail de graphiste », d’ici quelques années.
Le graphiste se forme à l’intelligence artificielle « pour ne pas être dépassé »
« Je pense aussi qu’il est important de se former rapidement à l’intelligence artificielle pour ne pas être dépassé », note Gaëtan. Ce dernier considère que de plus en plus d’entreprises vont demander à leurs collaborateurs de savoir utiliser l’IA, afin de pouvoir travailler plus efficacement. À l’exception « de personnes avec un style particulier, comme un illustrateur par exemple, dont la signature graphique est recherchée ».
« Nous allons devoir apprendre à utiliser ces outils », concède Loïc, citant notamment la suite ADOBE, « qui a déjà intégré l’IA dans ses logiciels ». « Mais le moteur créatif reste l’humain, celui qui donne un prompt, une instruction à l’IA », complète-t-il, estimant qu’il « faudra sans doute devenir de plus en plus créatif pour sortir du lot ». « Tout ce que j’espère, c’est que l’on continuera à valoriser l’humain et ses compétences ».
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Les graphistes sont-ils vraiment menacés par l’IA ?
L’IA comme alliée : De nombreux graphistes, comme Gaëtan Lacombe, voient l’IA comme un outil facilitant leur travail, permettant de gagner du temps et de créer des visuels complexes plus rapidement.
Post-production essentielle : Malgré les avantages de l’IA, le travail humain demeure crucial. Gaëtan souligne que l’utilisation de l’IA nécessite encore d’importants efforts de post-production pour obtenir un résultat final abouti.
Sensibilité humaine primordiale : La création d’une identité visuelle, qui intègre logos et couleurs, demande une compréhension et une analyse que l’IA ne peut pas pleinement réaliser, rendant l’humain indispensable dans le processus créatif.
Perspectives variées sur l’impact de l’IA : Alors que Gaëtan se sent serein face à l’impact de l’IA, d’autres comme Loïc s’inquiètent de sa capacité à remplacer certains aspects du métier de graphiste, notamment dans les agences.
Nécessité de formation : Les graphistes doivent se former rapidement à l’utilisation de l’IA, suivant les enjeux de demain, et également pour rester compétitifs. Il faut maintenir la sensibilité et la créativité humaine comme des moteurs centraux.