99 % des étudiants utilisent déjà les IA génératives : une étude du Pôle Léonard de Vinci, réalisée lors d’un hackathon exceptionnel, révèle la vitesse à laquelle s’est opéré ce basculement à la fois technologique et sociétal. Aujourd’hui, l’enseignement supérieur s’interroge : comment accompagner et éduquer les étudiants à l’utilisation de ces outils tout en poursuivant sa mission cruciale d’apprentissage ?
Cette étude de 2024 initiée par le Pôle Léonard de Vinci, RM conseil et Talan s’est concentrée sur « L’impact des IA génératives sur les étudiants ». Joachim Massias, directeur du MBA en IA et Data Innovation du Pôle Léonard de Vinci, a accepté de commenter ces chiffres encore inédits par leur ampleur : « Faire travailler 1 600 étudiants sur ce sujet en une semaine, c’est assez exceptionnel. Durant ce hackathon, les élèves ont d’abord travaillé sans IA générative, puis avec. Notre but était de les former et de leur donner une méthodologie pour mieux utiliser les outils génératifs, ce qui a fonctionné : ils ont appris à mettre en place la phase de réflexion préalable, qui va servir à bien poser sa demande à l’IA. »
Enseigner l’IA aux étudiants comme aux professeurs : une nécessité pour accompagner un changement sociétal
Plutôt que d’aller contre cette révolution technologique et sociétale, les établissements sont désormais nombreux à prendre le train en marche et à encourager l’utilisation de l’IA générative par les étudiants. Une nécessité devant le constat établi par cette étude : 99 % les utilisent déjà, dont 92 % régulièrement. Les étudiants ont à 70 % une vision positive de l’intelligence artificielle, en net décalage avec le reste de la population française inquiète à 79 % vis-à-vis de ces IA (Baromètre Ifop pour Talan avril 2024 « Les Français et les IA génératives »).
Gain de temps, de productivité, résolution de problèmes complexes : les bénéfices de l’IA s’accompagnent cependant de craintes qui pointent du doigt la potentielle baisse de capacité de mémoire, de réflexion, donnant naissance à une génération du zéro effort qui se reposerait trop sur l’IA. Comment l’enseignement doit-il aujourd’hui composer avec ces nouveaux usages ? « Cela ne sert plus à rien pour les professeurs d’interdire l’usage de l’IA, il va falloir accompagner ce basculement », constate Joachim Massias, avant d’ajouter : « Mais le risque est de se retrouver avec des professeurs nettement moins à l’aise que leurs élèves avec l’IA. J’ai formé 70 % des coachs présents dans le hackathon, qui dans leur immense majorité n’étaient pas utilisateurs. Notre retard est problématique, ne serait-ce parce qu’il faut former les formateurs. »
Comment l’enseignement supérieur réagit-il face à cette nouvelle priorité ? « Au Pôle Léonard de Vinci, un dispositif a été mis en place cette année à la suite du Hackathon pour former des étudiants spécifiques, déjà en avance sur ces sujets, qui vont eux-mêmes former les enseignants. C’est nécessaire et on a déjà un retard considérable, car l’année dernière le mot d’ordre était plutôt “Ne vous servez pas de l’IA”, par peur de l’inconnu. Mais quand on commence à l’utiliser, l’IA fait moins peur. On se rend compte de la puissance de l’outil, mais aussi de ses limites : elle fait mal beaucoup de choses. »
1/4 des étudiants déclarent utiliser les IA génératives pour effectuer leur travail à leur place : quelles sont les craintes liées à l’utilisation massive de l’intelligence artificielle en classe ?
L’usage le plus terrible et le plus courant de l’IA générative chez les étudiants est de s’en servir comme d’un moteur de recherche, avec en retour la génération de fausses informations, le travestissement des requêtes et les hallucinations. 52 % des étudiants indiquent que ChatGPT les influence dans leurs choix. « Ils peuvent avoir des raisonnements biaisés puisque l’entraînement des IA est biaisé. Il y a un risque qu’ils n’exercent plus leur esprit critique et que leur pensée soit dictée par les IA. Il faut enseigner aux étudiants à se méfier de ces biais. »
En parallèle, 1/4 des étudiants déclarent utiliser les IA génératives pour faire leur travail à leur place. L’enseignement craint-il aujourd’hui une baisse de la capacité de réflexion, de mémorisation ? « C’est évidemment une crainte. 26 % des étudiants interrogés ont admis utiliser ChatGPT pour faire leurs devoirs à leur place : on peut imaginer que la proportion réelle est bien plus élevée. On va donc devoir changer la manière d’apprendre. Le corps professoral doit comprendre que l’ancienne méthode du “On apprend par coeur et on est capables de retranscrire” est en train de changer », poursuit Joachim Massias, plutôt optimiste par ailleurs. Car ce bouleversement favorisera peut-être les plus malins, donnant naissance à une génération plus agile.
Détecter l’utilisation de l’IA par les étudiants dans des dossiers à rendre n’est pas chose aisée, avec des outils de mauvaise qualité. Preuve en est, OpenAI a d’ailleurs retiré le sien du marché. Pour le professeur et directeur du MBA, les plus malins sauront de toute façon toujours contourner ces outils. « De vrais problèmes vont arriver, d’où le renforcement de la notation à l’oral. »
La fin d’une ère : quel futur se dessine pour l’apprentissage et la formation ?
À quoi va ressembler l’apprentissage dans les prochaines années : est-ce donc la fin du par cœur ? « On ne leur demandera pas d’arrêter d’apprendre par cœur : pour se forger un avis, il faut avoir des connaissances. On ne peut pas laisser un outil penser à notre place. La notion de connaissance va sans doute bénéficier d’une vigilance accrue, en particulier parce que le but de l’IA n’est pas d’être fiable. Dans les méthodologies du hackathon, on s’est demandé comment vérifier qu’ils avaient vraiment travaillé. Nous avons misé sur l’oral avec un vrai jury, pour vérifier que les connaissances étaient bien assimilées. » Il y a fort à parier que l’oralité comme mode d’examen prenne une place considérable dans les années à venir.
Ces étudiants qui utilisent l’IA sont le futur des entreprises : un choc générationnel se prépare
L’étude révèle que 88 % des étudiants jugent crucial que leur futur employeur mette à disposition des IA génératives. Pour 65 % d’entre eux, la présence de ces technologies figure parmi les principaux critères de choix d’une entreprise, surpassant même la politique RSE.
Face à cette réalité, les entreprises doivent impérativement se préparer à l’arrivée de cette nouvelle génération, déjà familiarisée avec les usages et les avantages des IA génératives. Pour ces jeunes, ces outils constituent un argument décisif dans le choix de leur futur employeur. Mais un véritable choc générationnel pourrait se profiler à l’horizon, comme le montrent les données du Baromètre Ifop pour Talan (avril 2024) : 92 % des étudiants utilisent régulièrement les IA génératives, contre seulement 22 % des plus de 35 ans.
Les futurs managers de cette génération risquent de mal réagir, arguant que les jeunes “n’ont rien dans la tête” et ne voyant pas l’intérêt d’utiliser des outils qu’ils n’ont jamais adoptés. Cette réticence pourrait nuire à la collaboration intergénérationnelle. Une erreur, selon Joachim Massias, qui conclut par cette expression : « J’utilise souvent le terme de baguette magique : même si l’IA générative ne fait pas tout, c’est un outil qui facilite la vie. Par exemple, pour une personne dyslexique, la correction automatique des fautes élimine une barrière importante. L’IA peut également aider à structurer la pensée, à poser des questions en toute discrétion, à résoudre de nombreux problèmes complexes. » Le tout étant d’en connaître les avantages comme les limites, ce à quoi sera certainement formée cette nouvelle génération d’étudiants.