Depuis sa création en 2013 par Xavier Niel, L’École 42 cultive une idée radicale : apprendre le code à tous, sans profs, sans prérequis de diplômes, par l’expérience, l’entraide et l’effort répété. Sophie Viger, directrice de l’école, éclaire dans un manifeste tout juste paru les fondements d’une pédagogie révolutionnaire.
42 est-elle vraiment une école ? À voir le tout nouveau campus du boulevard Bessières au nord de Paris, rien ne le laisse penser : pas de salles de classe, pas de professeurs, mais des centaines de jeunes – et moins jeunes – concentrés devant leurs écrans, plongés dans leurs lignes de code et entourés de leurs pairs venus les aider ou qu’ils s’apprêtent eux-mêmes à épauler.
Apprendre l’informatique est une affaire de désir
La philosophie de 42 repose sur une idée fondatrice : l’idée qu’on naît avec le désir d’apprendre. Ce postulat, que l’école classique a souvent relégué derrière des logiques de notation, de classement ou de conformité, irrigue depuis longtemps les travaux de théoriciens de l’éducation comme Maria Montessori, Célestin Freinet ou Joseph Jacotot. À leur suite, 42 prend acte que l’on n’enseigne pas l’envie d’apprendre mais qu’on la cultive.
Dans Manifeste pour une révolution pédagogique , Sophie Viger explique le succès de cette méthode sans cours magistraux ni professeurs : l’apprentissage s’organise autour de projets concrets, que l’on résout seul ou en coopération, dans un environnement gamifié qui évoque le jeu vidéo. Chaque étape déverrouille des compétences techniques ; chaque erreur devient une marche vers la maîtrise.
Derrière cette apparente légèreté, la méthode réclame discipline et persévérance. Il faut chercher, tâtonner, recommencer, encore et encore. Pas de réponse toute faite, pas de figure d’autorité : les étudiants construisent leur propre savoir à travers l’expérience. « Ce que 42 redonne, c’est la capacité d’agir », souligne Sophie Viger. Apprendre n’y consiste pas à mémoriser des contenus, mais à forger son autonomie, à interagir avec ses pairs, à exercer un regard critique sur ses choix comme sur ses blocages. Loin de toute improvisation, c’est une rigueur qui ne dit pas son nom, mais qui s’apprend dans l’effort partagé. « À 42, tu rates, tu recommences, tu réessayes. Et tu te rends compte que tu n’es pas seul. »
La diversité comme socle pédagogique
La diversité est un manifeste qui structure le cœur même de la pédagogie de 42. L’école accueille des profils de tous horizons : jeunes décrocheurs scolaires, anciens cadres en reconversion, mères de famille, réfugiés, passionnés de jeux vidéo ou diplômés d’archéologie. Cette hétérogénéité est un facteur de cohésion réel, car chacun devient le professeur potentiel de l’autre. « Ce n’est pas seulement un apprentissage du code, c’est un apprentissage du collectif », insiste Sophie Viger.
Travailler avec quelqu’un qui ne pense pas comme soi oblige à clarifier ses idées, à reformuler, à affiner sa propre compréhension. C’est aussi un moyen de lutter contre les biais cognitifs et culturels. Ici, on ne progresse pas malgré les différences, mais grâce à elles.
Réussir sans hiérarchie ni diplôme ?
L’école 42 a longtemps été fière de ne délivrer aucun diplôme. Un pied de nez assumé au système académique, mais aussi une utopie difficile à tenir. « Le diplôme reste un besoin social. » Deux certifications professionnelles ont donc été introduites. « Ce n’est pas une concession. C’est une porte supplémentaire », précise Sophie Viger, un moyen d’ouvrir l’école à celles et ceux qui, faute de reconnaissance officielle, n’osaient pas franchir la porte. »
La pédagogie de 42 n’exige aucun prérequis : pas de bac, pas de CV, pas de lettre de motivation. Juste une Piscine, un mois d’immersion intensive où la seule chose qui compte, c’est la ténacité. Une manière de remettre chaque candidat face à lui-même, mais aussi face aux autres.
Le modèle 42 s’exporte
De Paris à Kuala Lumpur, de São Paulo à Séoul, 42 s’est déployée dans plus de 50 pays et partout, la méthode séduit : les étudiants s’approprient cette forme de liberté encadrée, apprennent à coopérer, à chercher plutôt qu’attendre, à faire plutôt que suivre. Même en Corée, où la verticalité des relations reste forte, le modèle fonctionne.
Pourtant, cette pédagogie repose sur une exigence rarement visible de l’extérieur. Elle demande de l’effort, de la discipline, une capacité à gérer la frustration. 42 ne fabrique pas des prodiges, mais des profils autonomes, capables de s’adapter à un monde technologique mouvant. Alors que l’IA bouscule les métiers du numérique, les étudiants de 42 apprennent à se repérer sans carte. « Ils testent les agents IA avant même qu’on les leur enseigne. Ils apprennent à apprendre , et c’est ce qui les rend solides », observe la directrice.
Former, oui. Transformer, surtout.
L’ambition de 42 dépasse la seule formation au code. C’est une école de l’émancipation, un espace où l’on peut retrouver foi en ses capacités, parfois même les découvrir pour la première fois. Un lieu de résilience et d’espoir. Le Plan Inclusion lancé en France vise à accueillir davantage de femmes, de personnes éloignées de l’emploi, de publics vulnérables. Le dispositif Piscine Discovery, qui permet à des femmes de tester la méthode sur une semaine, en témoigne : à l’issue de ces immersions, nombreuses sont celles qui affirment, surprises, « je ne pensais pas que j’étais capable ».
À 42, les transformations ne se mesurent pas seulement en lignes de code. Elles se lisent dans les regards, les postures, les trajectoires. Ce que propose l’école, au fond, c’est de réconcilier l’éducation avec la confiance, la diversité, l’envie. Une école qui, loin de trier les talents, les fait émerger. Une école qui ne promet pas de réussir, mais qui permet d’essayer. Encore et encore, jusqu’à ce que la réussite devienne naturelle.
On vous guide dans vos choix de carrière en vous présentant plusieurs métiers dans ce domaine.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur la pédagogie innovante de l’École 42 :
Une pédagogie basée sur l’expérience, l’entraide et l’autonomie : L’École 42 de l’enseignement supérieur, sans professeurs ni cours magistraux, privilégie l’apprentissage par projets concrets, coopération et essais-réussites, semblable à un environnement de jeu vidéo, pour cultiver la motivation et la persévérance.
La philosophie du désir d’apprendre et la liberté dans l’apprentissage : Fondée sur l’idée que l’envie d’apprendre doit être nourrie, le cursus de l’école d’informatique encourage la recherche indépendante, la résilience face à l’erreur, et le développement d’une capacité d’action d’apprentissage autonome.
La diversité comme levier pédagogique : L’école d’informatique accueille des profils variés (jeunes, reconvertis, réfugiés, etc.), favorisant la richesse des échanges et le développement d’un apprentissage collectif capable de réduire les biais et d’encourager la cohésion.
Une formation accessible sans diplômes ni prérequis : La sélection repose sur une immersion intensive de 4 semaines appelée “Piscine”, sans exigence de diplôme, permettant d’appréhender la ténacité et la capacité de résilience. Deux certifications reconnues complètent cette pédagogie pour préparer au mieux au monde de l’entreprise.
Un modèle exporté à l’international, axé sur la transformation personnelle : Présent dans plus de 50 pays, ce modèle développe des profils autonomes, résilients face à l’évolution du secteur technologique, tout en étant une école d’informatique d’émancipation et d’inclusion, notamment via des projets comme Plan Inclusion.