Grégoire Borst dresse un diagnostic sans concession sur l’orientation en France : derrière les discours de valorisation du lycée professionnel se cache une réalité dérangeante, celle d’un système qui reproduit les inégalités sociales.
L’affirmation de Grégoire Borst, spécialiste des questions d’éducation, tranche avec les discours convenus sur la revalorisation de l’enseignement professionnel. Selon lui, l’enjeu n’est pas de réformer cette filière, mais de comprendre pourquoi elle concentre les élèves issus de milieux défavorisés.
Une ségrégation qui ne dit pas son nom
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une « surreprésentation » massive des classes populaires en lycée pro, face à un évitement quasi-systématique des familles aisées. Cette répartition ne relève pas du hasard, mais d’un « marquage social » des choix d’orientation très précoce. « À niveau égal, certains élèves peuvent envisager des études longues parce qu’ils disposent des ressources pour les soutenir, contrairement à d’autres », observe Grégoire Borst.
Cette mécanique repose sur plusieurs facteurs. D’abord, une « impossibilité » pour certaines familles d’envisager des formations non-professionnalisantes : « Il faut exploiter plus rapidement les ressources existantes », résume-t-il. Ensuite, l’absence de « rôles modèles », qui limite la projection vers des parcours longs. Enfin, les pressions familiales et du groupe de pairs, qui orientent vers des choix conformes au milieu d’origine.
À LIRE AUSSI
Un paradoxe français
Cette situation révèle un paradoxe spécifiquement français. Alors que l’Allemagne valorise massivement la voie professionnelle, la France procède différemment : « On écrème les 20 ou 30 % pour la voie générale, puis on laisse les 70 % restants entre eux. » Résultat : une stigmatisation vers le bas qui renforce les représentations négatives.
Les données PISA 2022 illustrent cette « hétérogénéité problématique » : quand les secondes générales et technologiques scorent au-dessus de la moyenne française, les secondes professionnelles sont très en dessous. « Cela reflète un système éducatif extrêmement inégalitaire », constate Grégoire Borst.
Des atouts méconnus
Pourtant, le lycée professionnel présente des qualités indéniables. « C’est là qu’on observe le plus d’innovation pédagogique », souligne Grégoire Borst. Confrontés à un public « qui n’a pas forcément bien répondu à la pédagogie descendante » du secondaire, les enseignants développent des approches différenciées. L’apprentissage de la « mémoire procédurale » – nécessaire à la maîtrise des gestes techniques – exige « énormément de répétition » et pousse les équipes à innover.
Le décrochage post-Covid, plus marqué en lycée pro, ne révèle pas un dysfonctionnement propre à la filière : « Ce n’est pas une problématique du lycée professionnel, c’est une problématique du public qu’il accueille. » Face à cette concentration de difficultés sociales, « le lycée professionnel fonctionne extraordinairement bien ».
Des pistes pour sortir de l’impasse
Comment briser cette mécanique ? Grégoire Borst propose plusieurs leviers. D’abord, travailler « très tôt » sur l’orientation, dès le collège, non pour forcer des choix précoces mais pour « apprendre aux élèves à se connaître, à déterminer leurs forces et faiblesses. » Il faut aussi « déconstruire les représentations » et les biais, y compris genrés, qui canalisent les choix.
Autre levier : multiplier les « passerelles » entre filières. « Si vous avez fait un lycée professionnel, c’est très dur de poursuivre ensuite sur des études plus longues », regrette-t-il. Plus de flexibilité réduirait « la ségrégation sociale » en rassurant les familles sur les possibilités de réorientation.
Enfin, la valorisation passe aussi par une revalorisation des métiers manuels, y compris salariale. « Si ça devient attractif, vous aurez des candidats », résume-t-il.
L’enjeu dépasse le cadre scolaire : il s’agit de construire une société qui ne hiérarchise plus les parcours selon l’origine sociale, mais valorise réellement la diversité des talents et des aspirations.
NOTRE RÉSUMÉ EN
5 points clés
PAR L'EXPRESS CONNECT IA
(VÉRIFIÉ PAR NOTRE RÉDACTION)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Lycée professionnel, « Le problème n’est pas la filière, c’est le triage social »
Un système de tri social
Selon Grégoire Borst, le lycée professionnel n’est pas en cause ; il sert de filtre qui concentre les élèves issus de milieux populaires, quand les familles aisées évitent cette filière.
Des choix contraints
L’orientation repose sur un marquage social précoce : manque de moyens pour envisager des études longues, absence de rôles modèles et pressions familiales ou sociales qui orientent vers le pro.
Un paradoxe français
Contrairement à l’Allemagne qui valorise la voie professionnelle, la France stigmatise cette filière. Les résultats PISA confirment de fortes inégalités entre les secondes générales et professionnelles.
Des innovations pédagogiques
Malgré sa mauvaise image, le lycée professionnel est un lieu d’expérimentation éducative. Les enseignants y développent des approches différenciées adaptées à un public en difficulté.
Des pistes de réforme
Grégoire Borst préconise d’agir dès le collège sur l’orientation, de renforcer les passerelles entre filières et de revaloriser les métiers manuels, notamment par une meilleure rémunération.














