Selon une enquête de l’ONDES, il existe des discriminations à l’entrée en Master, liées à la consonance des noms et prénoms des candidats comme indicateur d’origine ethnique. Existe-t-il réellement une inégalité des chances ? Discrimination silencieuse ou biais inconscients, l’étude de l’ONDES, publiée en mars 2025, lève le voile sur ces inégalités invisibles dans les universités françaises.
Quelle est la méthode d’analyse utilisée par l’ONDES ?
L’étude qui a été réalisée par l’ONDES (Observatoire National des Discriminations et de l’Égalité dans le Supérieur) en mars 2025 repose sur un testing par correspondance. Concrètement, les chercheurs ont envoyé 5 724 demandes d’information à 1 908 responsables de formations universitaires via la plateforme Mon Master, entre février et mars 2024. Les responsables appartenaient 84 établissements différents, dont 59 universités et 25 écoles et instituts.
Les candidatures ne sont désormais plus gérées indépendamment sur les plateformes privées de chaque université. Elles sont, depuis 2023, unifiées au niveau national sur une plateforme unique : Mon Master. Elle permet aux étudiants de postuler dans toutes les formations de master en France.
Lors de cette enquête, chaque envoi s’est fait par triplets de candidatures fictives, dont seule la consonance des noms et prénoms variait pour simuler différentes origines (franco-française, maghrébine, africaine, asiatique, juive). L’objectif ? Mesurer les différences de taux de réponse positive entre les différentes candidatures.
Détails de la méthode
L’étude de l’ONDES repose sur un protocole de testing consistant à envoyer des demandes d’informations simples et neutres (date de rentrée, présence ou non d’auditions, éventuelles dates…) à des responsables de Master, sans déposer de dossier. Aucune des informations demandées ne sont mentionnées sur le site monmaster.gouv.fr.
Cette méthode, courante en phase de pré-candidature, permet de détecter d’éventuels biais dans les réponses sans être influencé par la qualité du dossier. Si une discrimination est observée dès ce premier contact, elle est jugée révélatrice d’un traitement inégal probable lors du processus d’admission complet.
Une discrimination significative selon l’origine ethnique des candidatures
Une étude précédente réalisée par l’ONDES a abouti à la conclusion qu’aucune différence de genre n’était faite en ce qui concerne le taux d’acceptation lié aux origines. L’étude a donc été réalisée avec 5 identités fictives féminines, chacune supposée refléter une origine perçue différente.
| Profil | Prénoms / Noms | Taux de réponse positive | Écart de points | Baisse relative |
|---|---|---|---|---|
| Profil majoritaire |
Fabre, Martin, Bernard | 60,85% | – | – |
| Origine maghrébine |
| 55,72% | 5,13% | -8,43% |
| Origine juive |
| 58,03% | 2,82% | -4,63% |
| Origine asiatique |
| 59,48% | 1,37% | -2,25% |
| Origine d’Afrique de l’Ouest |
| 55,71% | 5,14% | -8,44% |
Pour assurer la crédibilité des profils, les prénoms et noms ont été sélectionnés à partir de données statistiques fiables, basées sur les fichiers de l’état civil diffusés par l’INSEE. Il s’agit donc des noms de familles et des prénoms les plus répandus en France pour une entrée en master en 2024, c’est-à-dire pour une élève née aux alentours de 2003.
Écart de points de pourcentage (valeur brute) vs pourcentage de baisse relative (valeur comparée)
Si dans l’enquête effectuée par l’ONDES, les chiffres sont mesurés en écart de points de pourcentage dans les taux de réponse positive, ils sont ensuite traduits en pourcentage de baisse relative grâce à une formule mathématique :
(écart absolu ÷ taux du profil majoritaire) × 100
(5,13 ÷ 60,85) × 100 = 8,43%
Entre la candidate d’origine franco-française et celle d’origine maghrébine, on constate un écart de points de 5,13%, soit un pourcentage de baisse relative de 8,43%.
Le prénom : un critère de tri implicite ?
Le résultat est significatif : les candidates portant un prénom à consonance étrangère reçoivent moins de réponses positives que celles ayant un prénom à consonance franco-française. Les plus fortes pénalités concernent les candidates d’origine maghrébine et ouest-africaine, dont le taux de réponses positive est inférieur d’environ 8,5%.
À dossier équivalent, l’origine supposée via le prénom semble suffire à produire une discrimination, le prénom devenant un critère de tri implicite pour certains responsables de formation, remettant en question le principe d’égalité d’accès à l’enseignement supérieur.
L’étude souligne que ce type de traitement pourrait contrevenir à la loi (notamment à l’article 225-1 du Code pénal sur la discrimination). Elle pose aussi un enjeu d’équité républicaine dans un contexte où le diplôme est déterminant pour l’avenir professionnel.
Des disparités de traitement selon les filières
L’étude de l’ONDES révèle que les discriminations à l’entrée en Master ne sont pas uniformes. Si les disparités ne sont pas flagrantes dans les domaines d’étude tels que :
- les Arts, les Lettres, les Langues,
- les Sciences Humaines et Sociales,
- le Droit, l’Économie, la Gestion.
Elles sont en revanche plus marquées dans certaines filières et notamment dans le domaine des Sciences, de la Technologie et de la Santé, où les chances de réussite sont inférieures d’environ 17% pour une personne ayant une origine d’Afrique du Nord ou d’Afrique de l’Ouest.
Voici les taux de réussite bruts par profil en ce qui concerne le domaine d’étude Sciences, Technologie et Santé, ainsi que la différence de réponse positive, exprimée en pourcentage.
| Profil | Taux de réussite | Différence de taux de réponse positive |
|---|---|---|
| Profil majoritaire | 63,77% | – |
| Origine maghrébine | 53,39% | -16,28% |
| Origine juive | 56,77% | -10,98% |
| Origine asiatique | 59,94% | -6,00% |
| Origine d’Afrique de l’Ouest | 52,92% | -17,01% |
Les candidates ayant une origine asiatique ou juive sont moins victimes de cette discrimination, bien qu’elle reste significative.
Une discrimination bien avant l’insertion professionnelle
Les résultats mettent en évidence une forte discrimination liée à l’accès aux formations en master, bien avant l’insertion professionnelle. Et bien que celle-ci soit moins abordée dans les différentes études effectuées, elle semble pourtant être à l’origine des discriminations que l’on peut observer par la suite dans le cadre professionnel.
Il est en effet plus difficile pour les candidates discriminées d’accéder à de bonnes formations, proposant un cursus souvent mieux encadré, des stages dans de meilleurs établissements et par conséquent les meilleurs débouchés professionnels.
Cette situation exige une réaction concrète des pouvoirs publics et une mobilisation collective de tous les acteurs de l’enseignement supérieur afin de garantir l’égalité d’accès aux formations, indépendamment de l’origine perçue des candidats.













