Anne Szymczak, directrice générale du Cned : « L’intelligence artificielle fait déjà partie de notre quotidien »

Anne Szymczak a pris la direction générale du Cned en mars 2025. Pour l’Express Éducation, elle évoque les grands enjeux de l’organisme d’éducation – intelligence artificielle, formations aux métiers en tension, innovations – dans un contexte économique tendu.

Interview d’Anne Szymczak, directrice générale du Cned

Après une carrière dans l’enseignement et dans l’inspection nationale, vous avez rejoint le Cned en tant que directrice générale en mars 2025. Quels sont les chantiers que vous menez ?

Anne Szymczak : Actuellement, nous menons plusieurs plans stratégiques sur différents volets. Nous sommes en train de finaliser notre plan de transition écologique en interne, comme toutes les entreprises. Ce plan doit officiellement être lancé à la rentrée de septembre. 

Nous travaillons aussi à renforcer l’assurance des processus de qualité et de contrôle. Avec plus de 1 000 agents et plus de 1 100 enseignants affectés au Cned qui travaillent de chez eux, des milliers de vacataires ou d’auteurs experts, nous devons travailler à l’amélioration de la performance. 

Enfin, nous avançons sur une stratégie autour de l’intelligence artificielle.

Justement, quelle place accordez-vous à l’intelligence artificielle ?

Anne Szymczak : L’intelligence artificielle fait déjà partie de notre quotidien. Nos ingénieurs pédagogiques et nos experts réfléchissent sur la place de l’IA dans nos contenus. Dans les métiers de la création pédagogique et de formation, nous avons déjà engagé de nombreuses choses avec la création d’avatars qui permettent d’animer des formations.

Nous avons aussi intégré une couche d’IA dans Mémo Max, notre dispositif d’aide à la révision. Cette solution a été conçue pour s’adapter aux rythmes et aux besoins de chaque apprenant, ce qui permet à tous de mieux mémoriser. 

Mais aujourd’hui, tous les métiers doivent bénéficier d’un usage éthique et régulé de l’IA. C’est pourquoi nous travaillons à créer une stratégie d’établissement pour l’intelligence artificielle. L’objectif est de simplifier, faciliter et transformer, toujours à des fins d’une meilleure qualité, nos divers métiers.

Au-delà de l’IA, les innovations technologiques sont-elles aussi un enjeu pour votre organisme ?

Anne Szymczak : Tout à fait, le Cned dispose d’un laboratoire d’innovation, le Lab’innov, qui permet d’introduire l’innovation dans nos différentes actions. Un des enjeux de fond consiste à proposer aux inscrits une offre en ligne avec une présence humaine incarnée. Nous développons les classes virtuelles, y compris en synchrone pour accompagner nos apprenants mais aussi par exemple détecter et prévenir le décrochage chez certains élèves.

Nous avons aussi une communauté de bêta-testeurs – des usagers, parents et apprenants – qui nous permet d’améliorer nos produits innovants, notamment notre application mobile.

Comme les usages évoluent rapidement et qu’aujourd’hui, tout le monde a un téléphone en poche, cette application nous permettra aussi de mobiliser facilement certaines populations qui ont du mal avec une installation numérique classique.

Les budgets de certains opérateurs de l’État, dont le Cned, ont été revus à la baisse. Comment votre organisme fait-il face à ces restrictions ?

Anne Szymczak : En effet, la subvention pour charge de service public que nous recevons a encore diminué au budget rectificatif 2025. Pour autant, cette contribution du Cned à l’effort national est liée à sa solidité financière et notamment à un fonds de roulement toujours important.

Les tutelles ont de leur côté bien conscience que cette situation ne peut pas se reproduire indéfiniment. En parallèle, nous augmentons nos ressources propres. En 2024, nous avons eu une hausse de plus de 2,1 millions d’euros de nos recettes commerciales, au-delà de ce que nous avions prévu.

Comment se structure votre activité entre service public et activités commerciales ? 

Anne Szymczak : Le Cned remplit une mission de service public qui consiste à amener l’école pour ceux qui en sont empêchés pour différentes raisons. Cette mission est gratuite jusqu’à 16 ans, âge de la scolarité obligatoire. C’est sur cette mission que nous recevons la subvention de l’État. Au-delà de cet âge, le service devient payant. De la même manière pour les élèves à l’étranger et les cours à la carte, il s’agit d’un service commercial.

En parallèle, nous développons différentes activités qui sont, elles, rémunératrices. Nous devons par exemple apporter des solutions de formations aux métiers en tension. C’est ainsi que nous avons créé trois préparations aux concours  pour accéder à des métiers de la sécurité dans la police et la gendarmerie, mais aussi une formation d’assistant en cybersécurité pour les TPE/PME et collectivités territoriales.

Aujourd’hui, nous allons travailler avec les ministères à la rationalisation de notre offre de formation pour continuer à répondre aux grands enjeux nationaux. La formation assistant cyber que nous avons lancée dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt a demandé un investissement économique de départ important, puisque la création de cette formation à distance mobilise des experts extérieurs et des équipes de très haut niveau. Or si cette formation répond à une demande, si elle trouve son public, elle devient rentable. Ces éléments de réflexion autour des modèles économiques de développement de l’activité sont essentiels.

Par ailleurs, nous créons aussi différentes formations et plateformes en lien avec les enjeux nationaux. Nous avons ainsi lancé une plateforme dans le cadre de la stratégie nationale de résilience qui s’adresse aux élus locaux et aux collectivités pour les sensibiliser aux risques et menaces.

Nous avons aussi lancé une V2 de notre formation le B.A.-BA du climat et de la biodiversité qui permet à tous d’acquérir des connaissances fondamentales sur le changement climatique et la biodiversité.

Face aux coupes budgétaires, existe-t-il un risque de voir le Cned fusionner avec d’autres opérateurs de l’éducation ? 

Anne Szymczak : Aujourd’hui, il n’y a pas d’annonce sur l’avenir des opérateurs de l’éducation. Les fusions sont envisageables si on les construit. Cependant, la mission historique du Cned, d’apporter l’école à ceux qui en sont empêchés et son offre étendue d’établissement de complémentarité n’ont pas d’alternative actuellement.

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Quels livres recommandez-vous aux étudiants ?

Anne Szymczak : Je me permets une réponse double : Regain de Jean Giono et l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, en particulier Vol de Nuit et Terre des hommes. 

Gide a écrit en préface de Vol de Nuit : “Je lui sais gré particulièrement d’éclairer cette vérité paradoxale, pour moi d’une importance psychologique considérable : que le bonheur de l’homme n’est pas dans la liberté, mais dans l’acceptation d’un devoir.”

Quelles sont les personnes qui vous inspirent ? 

Anne Szymczak : Mon grand-père maternel, Maurice Philippe, qui m’a appris à penser à l’autre avant soi, à faire plutôt qu’à dire. Marie-José Masson, ma maman, directrice d’école maternelle, passionnée par le livre et la calligraphie, femme responsable, engagée, généreuse, dont la résilience est un exemple 

Pierre Zylawski, mon professeur de français au collège, et ami, qui m’a appris l’exigence, la droiture, l’écriture et a fait ma bibliothèque intérieure. Georges Cachera, proviseur à Valenciennes, qui m’a inspirée par son leadership et le don de soi pour l’éducation et la réussite de tous.

Caroline Pascal, actuellement DGESCO, qui a construit et dirigé l’IGÉSR entre 2018 et 2024, femme intègre, éminemment intelligente, engagée, fidèle et visionnaire.

Mes filles Célia et Marine, mon gendre Gaetan Croisille, et Juliette sont inspirants car ils incarnent à eux quatre la jeunesse pour laquelle il faut nous battre, jeunesse déterminée, active, courageuse dans la réalisation de ses projets, et attentive à l’avenir de la planète.

Vincent Robert, professeur des universités à Strasbourg, m’inspire par son exigence, son ouverture à l’altérité qui se traduit par une attention à l’Autre quel qu’il soit, par son regard profond et éclairant sur le monde, les êtres et la science.

Quels sont les lieux où vous aimez-vous rendre ?

Anne Szymczak : Tout lieu où je me rends avec l’être cher ou pour le retrouver.

Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA

(Vérifié par notre rédaction)

Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : la stratégie du CNED face aux défis de l’intelligence artificielle, des restrictions budgétaires et de la transformation de la formation à distance.

L’intelligence artificielle, déjà intégrée au CNED : Anne Szymczak affirme que l’IA fait « déjà partie du quotidien » du CNED, via des outils comme des avatars pédagogiques ou Mémo Max, une solution d’aide à la mémorisation personnalisée. Une stratégie globale autour de l’IA est en cours d’élaboration pour garantir un usage éthique, utile à l’ensemble des métiers de l’établissement.

Innovation technologique et accompagnement humain : Le CNED mise sur l’innovation grâce à son Lab’innov et une communauté de bêta-testeurs. Objectif : allier solutions digitales (application mobile, classes virtuelles synchrones) et présence humaine, notamment pour prévenir le décrochage scolaire et mieux répondre aux usages numériques actuels.

Un modèle économique mixte face aux restrictions budgétaires : Malgré une baisse de la subvention publique en 2025, le CNED s’appuie sur une solide santé financière et augmente ses ressources propres (+2,1 millions € en recettes commerciales en 2024). Il développe des formations payantes, notamment pour les métiers en tension, comme la cybersécurité ou la sécurité publique.

Une offre de formation en phase avec les enjeux nationaux : Le CNED crée des formations stratégiques, comme la plateforme de sensibilisation aux risques pour les élus ou la V2 du « B.A.-BA du climat et de la biodiversité ». Ces initiatives répondent aux besoins de résilience, de transition écologique et d’évolution des compétences en France.

Une mission de service public qui reste essentielle : Malgré les discussions sur de potentielles fusions dans l’éducation, la directrice générale défend la spécificité du CNED : garantir l’accès à l’école pour les élèves empêchés, avec une offre unique, gratuite jusqu’à 16 ans. Cette mission historique n’a, selon elle, aujourd’hui « pas d’alternative ».