Harcèlement moral à l’école : quand l’élève est la cible de son professeur

Un cas de harcèlement scolaire d'une professeure sur une élève.

Philippine Dolbeau, entrepreneuse de 25 ans, a été harcelée par sa professeure d’anglais tout au long de son année de terminale. Une expérience particulièrement douloureuse pour la jeune femme. Son enseignante, elle, n’a jamais été inquiétée. Et pour cause : la parole d’un enfant contre un adulte est encore difficilement audible.


« Je n’avais plus envie d’aller en cours, j’étais épuisée, je ne m’en sortais plus ». Philippine Dolbeau, entrepreneuse et journaliste de 25 ans, a décidé de sortir du silence. L’année dernière, elle a pour la première fois évoqué sur ses réseaux sociaux le harcèlement moral dont elle a été victime au lycée, de la part de sa professeure d’anglais. Un sujet encore tabou. « J’ai attendu que mon frère et ma sœur quittent l’établissement pour en parler », explique-t-elle

En 2017, Philippine intègre sa classe de terminale au sein d’un établissement privé des Yvelines qu’elle connaît bien, puisqu’elle y a passé toute sa scolarité. Jusqu’ici, un parcours sans encombre pour la jeune fille, excellente élève. À seulement 15 ans, elle avait déjà créé sa propre entreprise dans le secteur de l’éducation, en développant un système d’appel électronique (New School). « J’avais été sélectionnée pour partir au G20 des entrepreneurs en Chine lors de ma première semaine de cours », raconte Philippine.

À son retour, les enseignants lui réservent un accueil chaleureux, à l’exception de sa professeure d’anglais. En cours, les remarques cinglantes fusent. Elle s’attaque aussi aux résultats de son élève : si Philippine obtenait de bons résultats à l’oral, sa note pouvait chuter de 20/20 à 10/20 sans explication sur la plateforme Ecole Directe.

Le déclic a lieu lorsque Philippine se retrouve enfermée dans les toilettes pendant plusieurs heures. Elle en parlera pour la première fois à son professeur de philosophie, venu à son secours ce jour-là. Le soir-même, une amie de sa mère, avocate, lui fait remarquer sa perte poids. « J’avais perdu 6kg en six semaines. Je lui raconte tout, elle me confirme qu’il s’agit bien d’un cas de harcèlement, qui plus est, par une personne dépositaire d’une autorité sur un enfant. J’ai commencé à ouvrir les yeux », assure la jeune femme.

Philippine fait alors le lien avec des mails reçus sur le réseau social LinkedIn pendant son voyage en Chine, en début d’année. Des messages agressifs et dénigrants envoyés depuis le profil douteux d’une certaine « Marie ». La professeure aurait ensuite reconnu être cette personne, selon l’entrepreneuse.

Elle en parle à ses parents, et réclame un rendez-vous avec sa professeure principale. « Elle m’écoute mais me dit avoir besoin de preuves. En plus de 25 ans de carrière, elle n’a jamais eu un tel cas de figure ». L’élève élabore un important dossier relatant les faits, accompagnés de captures d’écran des dizaines de messages envoyés par l’enseignante. « Je n’en pouvais plus, ça commençait à avoir un impact sur ma scolarité », souffle-t-elle.

Elle décide ensuite de porter plainte. Mais au commissariat, elle n’est pas prise au sérieux, affirme Philippine. « On m’a aussi expliqué que cela revenait à porter plainte contre l’État, que la procédure durerait des années. La professeure avait prévu de prendre sa retraite à la fin de l’année scolaire, on m’a dit que ça ne servait à rien ». Elle finit par déposer une main courante.

L’enseignante, elle, ne supporte pas que son élève se soit rendue au commissariat, provoquant un scandale dans le bureau du chef d’établissement. À partir de là, la direction se positionne contre Philippine, assure la jeune femme : elle est exclue du lycée pendant les heures d’anglais. En option anglais littéraire, elle est alors aidée, en toute discrétion, par deux autres professeures, afin de préparer l’épreuve du baccalauréat. Jusqu’à ce que son enseignante l’apprenne, et se mette à menacer l’une d’entre elles.

Arrive le jour de l’épreuve. Alors qu’un « deal » avait été passé avec l’établissement scolaire pour que la professeure ne puisse pas être présente, cette dernière vient une nouvelle fois provoquer son élève jusqu’à son bureau. C’est la dernière fois qu’elles se verront.

Philippine, elle, obtient tout de même son bac. Mais une dernière mésaventure l’attend : ses bulletins scolaires sont modifiés sur Ecole Directe par sa professeure. Même chose sur le portail APB (Admission Post-Bac). Résultat : elle est recalée de toutes les formations. Elle continuera finalement ses études à Londres, et n’aura plus jamais de nouvelles de son enseignante.

La professeure n’a jamais été inquiétée. « Le recteur m’avait dit qu’il ne pouvait rien faire car elle prenait sa retraite, et qu’il fallait six mois pour qu’une procédure disciplinaire soit lancée dans l’Education nationale », assure Philippine. Quant à l’enquête interne lancée par la direction, aucun élève n’a témoigné en sa faveur, sous la pression de l’enseignante qui leur aurait promis une excellente note au coefficient important.

Aujourd’hui, elle souffre toujours des séquelles de son harcèlement scolaire. « J’ai énormément de mal à faire confiance à quelqu’un, dans tous les domaines de ma vie », confie-t-elle. « Ma chance, c’est d’avoir été soutenue par ma famille et mes autres professeurs, des héros sans capes », estime Philippine. « Mais si c’était arrivé à un autre élève, qui n’avait pas les moyens d’étudier ailleurs, qui n’avait pas de soutien psychologique, qu’aurait-il fait ? », interroge-t-elle. « Ce qui m’a donné envie d’en parler, c’est le suicide du petit Nicolas, qui n’avait absolument pas été cru par le rectorat de Versailles », ajoute-t-elle, encourageant une vraie pédagogie autour de la lutte contre le harcèlement.

Que peut faire un élève victime de harcèlement moral par un professeur ? « Ce qui qualifie le harcèlement, ce sont des actions répétées, qui perdurent dans le temps, et qui ont un impact sur l’état de la personne qui les subit », rappelle Axelle Desaint, directrice d’Internet Sans Crainte. « Dans une relation élève-professeur, c’est la parole de l’adulte face à l’enfant. La parole de l’élève va être minimisée, questionnée. C’est encore plus compliqué de faire reconnaître la situation de harcèlement », souligne-t-elle. « Quand c’est un contre un, c’est très difficile », confirme Louis le Foyer de Costil, avocat en droit public et droit de l’éducation.

« Ce qui est vraiment important, c’est d’avoir le certificat d’un psychologue ou d’un médecin, qui montre qu’il y a des conséquences sur son état de santé », conseille l’avocat. « Cela permet d’objectiver les choses », assure-t-il. Il est également nécessaire, si possible, de recueillir des témoignages. « Il faut pouvoir constituer un dossier, ça va rendre le harcèlement tangible. Il faut qu’il puisse être démontré », ajoute Axelle Desaint.

Dans un premier temps, la directrice d’Internet Sans Crainte suggère « une médiation avec la personne concernée, en présence du CPE par exemple, pour pouvoir parler de son ressenti ». « Il faut en parler à un professeur de confiance », propose également l’avocat. « Si l’élève se plaint à ses parents, que les parents préviennent le chef d’établissement, au retour en classe, ça peut renforcer l’acharnement de l’enseignant », prévient-il. « Aujourd’hui, des parents qui se plaignent à l’administration d’un professeur harceleur vont recevoir un courrier menaçant du rectorat. Ils ne sont pas entendus ».

Et si la médiation ne suffit pas ? Il est notamment possible de faire appel à un avocat. « Ce qui est particulièrement complexe, c’est quand le harcèlement est insidieux et difficile à caractériser. En général, là où on arrive à obtenir gain de cause, c’est quand les propos en eux-mêmes, à la fois par leur accumulation et leur nature, révèlent un caractère anormal », explique Louis le Foyer de Costil. « Après, il faut trouver une solution. Exclure le professeur n’est pas forcément envisageable. Le chef d’établissement a besoin de son enseignant pour terminer l’année », détaille l’avocat. « Ce que je conseille, quand on sait que l’on n’obtiendra pas gain de cause, et que l’enfant est en souffrance, c’est malheureusement de changer de classe ou d’établissement. Le but, c’est de pouvoir terminer l’année et de ne pas se retrouver en phobie scolaire, ou déscolarisé ».


(vérifié par notre rédaction)

Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet du harcèlement moral : quand l’élève est la cible de son professeur.

Expérience de harcèlement à l’école : Philippine Dolbeau, entrepreneuse, raconte son année de terminale marquée par le harcèlement moral de sa professeure d’anglais, une expérience qui a eu des répercussions durables sur sa confiance en elle et son parcours scolaire.

Obstacles à la justice : Bien que Philippine ait constitué un dossier et tenté de porter plainte, les démarches administratives se sont révélées complexes et peu réactives, son enseignante partant à la retraite avant la fin d’une éventuelle procédure.

Soutien insuffisant : Aucun soutien de la direction, et isolation de l’élève. Philippine a néanmoins reçu de l’aide de certaines professeurs pour préparer son bac, bien que ces actions aient également suscité des menaces de l’enseignante harceleuse.

Conséquences et résilience : Malgré les pressions, Philippine a réussi à obtenir son bac et à poursuivre ses études à Londres, tout en partageant son expérience pour sensibiliser sur le harcèlement scolaire.

Conseils pour agir : Dans un cas de harcèlement, il est crucial de constituer un dossier solide, avec certificats médicaux et témoignages, et de chercher une médiation avec l’aide des CPE ou d’autres professeurs, tout en envisageant une assistance juridique ,si nécessaire.