Bienvenue dans 20 sur 20, le podcast de L’Express Education. Philippine Dolbeau, entrepreneure, conférencière et animatrice télé, y accueille des personnalités du monde de l’éducation, des hommes et des femmes inspirants venus livrer leurs réflexions sur l’école d’aujourd’hui et de demain. Alors, qu’ils soient chercheurs, entrepreneurs de la EdTech, professeurs, parents, politiques ou même philosophes, tous partagent la même volonté de transformer l’éducation et de préparer la nouvelle génération aux défis de demain. Chaque semaine dans 20 sur 20, nous découvrons ces acteurs qui font bouger les lignes de l’éducation.
Dans cet épisode, Philippine Dolbeau rencontre Armel De la Bourdonnaye, Directeur INSA Hauts de France. Son parcours est riche : ancien élève de l’École Polytechnique et des Ponts ParisTech, docteur en mathématiques appliquées, Armel a occupé des postes prestigieux, que ce soit comme chercheur à l’Onera et à l’Inria, recteur d’académie, ou encore directeur de grandes institutions… Depuis 2020, il est à la tête de l’INSA Hauts-de-France, une école d’ingénieurs jeune, dynamique et ancrée dans une région en pleine transformation.
Qu’est-ce qui, dès le début de votre carrière, vous a attiré vers les mathématiques appliquées ?
Armel De la Bourdonnaye : Depuis tout petit, j’aime faire des mathématiques et c’est ce qui m’a conduit à faire des études d’ingénieur puis dans la recherche en mathématiques appliquées. J’ai beaucoup de plaisir à étudier, découvrir des choses et à comprendre comment cela marche. Quand on fait des études, on apprend la science et l’ingénierie. On apprend le dessous des cartes de la magie du monde. Quand on fait de la recherche, on trouve de nouvelles choses qui permettent des découvertes et des inventions afin de faire ce qu’on ne faisait pas avant. […]
Vous avez occupé des fonctions au sein de ministères, recteur dans une académie… Ce sont des rôles dans l’administration publique qui vous ont façonné d’une manière ou d’une autre ?
Armel De la Bourdonnaye : Au ministère, du côté de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai aidé le gouvernement et l’État à piloter les politiques de recherche d’enseignement supérieur dans les sciences et les technologies. Mon passage comme recteur m’a aussi permis de voir l’amont, ce qu’apporte l’Éducation nationale, de la maternelle jusqu’au lycée. Elle prépare les jeunes à entrer dans l’enseignement supérieur et à poursuivre dans le monde de la recherche. J’ai été recteur à l’époque où Jean-Michel Blanquer est devenu ministre. C’était une période de profonde transformation. Nous avons beaucoup travaillé sur l’école primaire, les savoirs fondamentaux, compter, respecter autrui… Cette période très intense m’a fasciné et a renforcé l’envie de m’engager. […]
L’INSA Hauts-de-France est un établissement jeune, intégré à l’Université Polytechnique Haute-France. Quels sont les atouts d’un tel modèle par rapport à d’autres écoles d’ingénieurs plutôt indépendantes ?
Armel De la Bourdonnaye : On n’est jamais indépendant. Soit on dépend uniquement de ses clients, donc on est privé et on n’a pas d’argent de l’État, soit on a une relation directe avec le ministère, soit on est inséré plus ou moins au sein d’un ensemble universitaire. Il y a des écoles qui sont vraiment internes. Nous sommes un établissement public à l’intérieur de l’université. Nous avons une certaine autonomie. En même temps, nous participons à la politique de l’université. On est l’outil de l’Université Polytechnique Île-de-France pour tout ce qui est sciences et technologies. […] En dehors des formations professionnelles courtes, on est l’outil politique de l’université sur notre secteur.
Comment votre école se distingue des autres ?
Armel De la Bourdonnaye : Nous sommes, comme quelques écoles du groupe INSA, très attachées à un modèle social qui vise à former et donner à chaque jeune la capacité d’agir dans le monde, par l’ingénierie. Au sein des INSA, il y a un équilibre entre les licences master et les formations d’ingénieur, qui renforcent notre rôle social. Il y a des passerelles possibles et un ancrage territorial qui est fort. En termes de thématiques, on est très centré sur les transports de surface (train, tramway, etc). Nous avons un rôle assez fort sur les mobilités, les questions d’énergie, le développement durable, l’inclusion sociale et le handicap.
Quels efforts mettez-vous en place pour attirer davantage d’étudiants, notamment des femmes, vers l’ingénierie ?
Armel De la Bourdonnaye : Il faut qu’il y ait davantage d’ingénieurs dans la société. C’est fondamental, avec des hommes et des femmes. Il faut trouver des solutions technologiques et sociales aux questions auxquelles on est confronté : le vieillissement de la population, les migrations, la transition écologique. Il y a vraiment de la place pour tout le monde, pour innover, pour créer, pour être au service de la population mondiale. Afin d’attirer les jeunes, il faut faire ressentir le plaisir qu’il y a d’étudier les sciences.
Étudier doit être un plaisir. À partir du moment où on a ce plaisir, que l’on arrive à diffuser et donner envie aux étudiants de venir dans les établissements d’enseignement supérieur, on aura des candidats ingénieurs. […] Il est important de comprendre que l’on n’est pas juste ingénieur dans une grande machine industrielle. Nous avons moins de jeunes qu’il y a 15 ans. Il faut qu’on forme plus de jeunes étrangers chez nous pour qu’une partie reste. […] Ceux que l’on aura formés deviendront des ingénieurs au service du changement climatique et des populations.
Est-ce que l’éducation ou l’enseignement supérieur est adapté à leur génération ?
Armel De la Bourdonnaye : On a tous eu des expériences différentes. Il y a des questions de relations humaines, de formation des enseignants et de formation continue qui se jouent. Cet aspect relationnel fait aussi questionner l’arrivée de l’intelligence artificielle. Est-ce qu’une intelligence artificielle sans émotion, ni positive ni négative, peut aider ? C’est un outil dont il faut apprendre à se servir. Si on ne sait pas s’en servir, ceux qui savent s’en servir nous remplaceront. […] Il faut changer les questions de pédagogie pour que le plaisir d’apprendre revienne.
À quoi ressemble l’école de demain, où se trouve la place de la pratique et de la théorie dans l’enseignement ?
Armel De la Bourdonnaye : La pratique permet d’approcher des concepts et de se faire une intuition. En même temps, il faut aussi regarder les questions théoriques, pour faire le lien entre l’intuition sensible et la théorie. Par la suite, on peut commencer à aller plus loin. Les chercheurs sont toujours en équilibre entre le développement de l’intuition et la pratique de la théorie. Quand on est mathématicien, on a des intuitions sensibles. […] De nombreux ingénieurs français travaillent à l’international et occupent des postes clés dans des entreprises de premier plan.
À quoi attribuez-vous ce succès des formations françaises à l’étranger ?
Armel De la Bourdonnaye : Nos jeunes scientifiques ont un corpus théorique scientifiques et sont capables d’aller plus loin. Ils peuvent imaginer des choses à partir de la confrontation entre la théorie et l’expérience. J’avais dans le passé des étudiants qui allaient aux États-Unis. Mes collègues américains me disaient que nos étudiants n’osaient pas mais étaient super bons. Nous proposons des formations où les étudiants sont assis dans une salle de classe et écoutent. Aux États-Unis, par exemple, les jeunes vont beaucoup plus rapidement être mis en mode projet et apprendre par eux-mêmes. Cette confrontation entre apprendre par soi-même et se confronter au réel fait que les jeunes Français s’implantent bien à l’international.
Faire comprendre à la nouvelle génération les codes du travail, c’est un enjeu pour vous ?
Armel De la Bourdonnaye : […] Quand on regarde les sondages ou les enquêtes d’opinion sur leurs aspirations vis-à-vis du travail, on retrouve toujours en premier le salaire. En deux, on retrouve des questions d’adéquation entre le travail et la vie personnelle. En trois, les questions de sens. Le salaire, le bien-être au travail, sont des choses qui passent avant les questions de sens. […] Il y a une partie de la jeunesse pour qui l’ascension sociale existe encore. Avec le groupe INSA, on a une action sociale très forte en amont dans les collèges et les lycées, et chez nous. Le but est de faire en sorte que les jeunes aient envie de venir et d’étudier. On est ingénieur en entreprise pour que l’entreprise réussisse, mais surtout pour transformer le monde.
Est-ce que vous voyez un changement dans la manière d’enseigner aux élèves ?
Armel De la Bourdonnaye : […] Nous rajoutons pour nos ingénieurs, une sensibilisation à l’écologie. Le but est de prendre conscience que tous les actes ont un coût écologique. C’est réfléchir à la fois à l’aspect systémique de l’écologie et sur les questions d’éthique personnelle. […] Les ingénieurs peuvent éclairer, dire qu’il n’y a pas d’axe sans conséquence et expliciter les conséquences d’un certain nombre de choix. Ils peuvent fournir des solutions pour que les conséquences soient plus faibles. […]