Bienvenue dans 20 sur 20, le podcast de L’Express Education. Philippine Dolbeau, entrepreneure, conférencière et animatrice télé, y accueille des personnalités du monde de l’éducation, des hommes et des femmes inspirants venus livrer leurs réflexions sur l’école d’aujourd’hui et de demain. Alors, qu’ils soient chercheurs, entrepreneurs de la EdTech, professeurs, parents, politiques ou même philosophes, tous partagent la même volonté de transformer l’éducation et de préparer la nouvelle génération aux défis de demain. Chaque semaine dans 20 sur 20, nous découvrons ces acteurs qui font bouger les lignes de l’éducation.
Dans cet épisode, Philippine Dolbeau rencontre Odile Gonzalez, engagée en faveur de la réussite des jeunes. Diplômée de l’ESC Compiègne, elle débute sa carrière au sein d’Yves Saint Laurent, en tant qu’acheteuse, puis responsable de la logistique. Elle rejoint ensuite L’Oréal en tant que responsable des achats pour des marques prestigieuses, comme Lancôme, Armani et Cacharel. Aujourd’hui, Odile est retournée aux sources, en tant que directrice de l’ESC Compiègne afin de former la prochaine génération de leaders et de citoyens. Interview.
L’alternance, autrefois marginale dans les grandes écoles, s’est aujourd’hui imposée. Il y a 10 ans, faire de l’ESC Compiègne une école entièrement dédiée à l’alternance a suscité des critiques ?
Odile Gonzalez : J’ai souhaité mettre l’école complètement en alternance car chez L’Oréal, on embauchait souvent des jeunes sortant de très grandes écoles. Ils allaient très vite et ils avaient une belle capacité d’analyse, mais ils avaient peu d’expérience pratico-pratique. […] Face à des écoles comme HEC, la meilleure façon pour mes étudiants de se démarquer était l’alternance.
À l’époque, c’était mal vu et j’ai été un peu critiquée. Mais les entreprises, elles, ont trouvé ça génial ! Elles avaient de plus en plus de besoins et Compiègne n’était pas loin de Paris. La ville n’attirait pas les jeunes diplômés, mais l’alternance était une façon d’attirer les futurs cadres et de les former. Ce fut un pari réussi.
Quels ont été vos arguments pour convaincre à la fois vos équipes, les entreprises et les élèves d’adhérer à votre vision ?
Odile Gonzalez : Ce sont les entreprises qui m’ont donné les arguments. L’école est très ancrée localement auprès d’elles. La majorité des alternants de l’ESC Compiègne travaillent dans des structures de la région et c’est un souhait que cela reste ainsi. Contrairement aux autres écoles, je souhaite avant tout répondre à la demande locale. À Compiègne, l’activité est plutôt industrielle, avec des PME et de grosses sociétés qui ont besoin de cadres. C’est en travaillant avec eux que l’on arrive à adapter nos programmes et à répondre aux besoins des entreprises. Par exemple, il y avait un manque de responsables des ressources humaines, alors nous avons ouvert un bachelor RH pour répondre à ce besoin. […]
Pourquoi l’alternance est importante ? Est-ce un chemin pour tous ?
Odile Gonzalez : Tout le monde n’est pas fait pour l’alternance. Quand on reçoit les jeunes, on se demande à chaque fois : « Est-ce qu’on l’imagine en entreprise ? » Par moment, on va préférer prendre un dossier un peu moins bon scolairement mais qui témoigne d’un véritable motivation. Je préfère un jeune qui a comme ambition de faire Paris-Moscou en stop plutôt qu’un premier de la classe qui n’obtient que des 20/20.
Selon une enquête, les dirigeants d’entreprise ne sont que 19 % à considérer que l’enseignement reçu à l’école est adapté aux réalités du monde du travail. L’alternance est-elle la clé ?
Odile Gonzalez : Je suis complètement d’accord. Aujourd’hui, notre système d’éducation n’est pas orienté vers les entreprises. On ne prépare pas toujours bien les jeunes à intégrer ce monde. Nous faisons au mieux, mais il est nécessaire de faire plus que ce que l’on nous demande afin qu’ils correspondent aux attentes et aux besoin de l’entreprise. Ma mission est, bien sûr, qu’ils obtiennent leur diplôme, mais surtout qu’ils soient tout de suite employables et performants. […]
Qu’est-ce qui doit aujourd’hui diriger le choix d’une école par rapport à une autre ?
Odile Gonzalez : Il y a plusieurs choix, mais, s’ils en ont la capacité, je pousse les étudiants à faire une grande école. […] Je crois que le choix d’un établissement doit être guidé par ce que l’on a envie de faire. L’ESC Compiègne est très atypique car nous connaissons chacun des 400 alternants. […] Quelqu’un qui voudrait rester anonyme et que l’on ne soit pas sur son dos durant son apprentissage ferait donc mieux de choisir une grande école plutôt que l’ESC.
De plus, il est important de comprendre qu’il ne faut pas rester dans une école quand on n’a pas envie de s’y rendre. […] Vous parliez d’orientation, je pense que l’on a le droit de se tromper dans un sens comme dans l’autre, à 18 ans comme à 25 ans. Il existe des formations accessibles tout au long de sa vie, donc ce n’est pas gênant. À l’ESC, nous recrutons des jeunes qui ont fait STAPS ou des personnes plus âgées qui veulent se former avec l’alternance après une expérience professionnelle. Le commerce ouvre tellement de portes. […]
Vous considérez les enseignants comme des coachs auprès des élèves, votre rapport à la relation professeur/élève diffère des autres écoles ?
Odile Gonzalez : C’est un rapport différent. Il est nécessaire de ne pas tomber dans la pédagogie inversée. Il y a eu une mode de faire apprendre le cours à la maison et de réaliser des exercices à l’école. Nous l’avons expérimenté, c’était une catastrophe.
À l’ESC Compiègne nous sommes plutôt dans une pédagogie active, nous prenons le savoir, nous le travaillons ensemble et après nous le mettons en application. La difficulté des professeurs, à partir de cette année, c’est de savoir comment l’appliquer. L’avantage de l’alternance, c’est qu’on peut appliquer la théorie avec la pratique. […] Ça va vraiment faire travailler les méninges, c’est une opportunité extraordinaire. […]
L’ESC Compiègne détient le label Génération 2024 destiné aux écoles qui développent des passerelles entre l’enseignement et le sport. Qu’est-ce que ce label vous apporte ?
Odile Gonzalez : C’est un label qui reconnaît l’investissement pour le sport et on le met en application tous les jours. Par exemple, les BTS, juste avant l’examen, peuvent suivre une demi-journée dédiée à un entraînement de boxe. Ils se défoulent et développent la cohésion de groupe. On estime que tout seul on ne peut pas y arriver. Certes c’est un examen individuel, mais si on le prépare en groupe, on a beaucoup plus de chances de le réussir. C’est en cela que les professeurs ont vraiment un rôle de coach, de leadership. […]
Si vous deviez être nommé ministre de l’Enseignement supérieur demain, quelle serait votre première mesure ?
Odile Gonzalez : Il est important de détricoter certaines choses et de revenir aux fondamentaux. Il n’y a pas de honte à faire des dictées en primaire et au collège, ni de faire des règles de trois et du calcul mental jusqu’en terminale. Il est nécessaire de consolider les bases afin de former des jeunes qui vont rentrer dans les entreprises. Insister sur l’agilité est primordial, ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas demain.
Est-ce qu’il y a une ou plusieurs choses qui vous rendent optimiste, sur ces derniers mois, dans l’univers de l’éducation et de la formation ?
Odile Gonzalez : Je trouve que l’énergie des jeunes est de plus en plus importante et c’est vraiment encourageant. Sinon, au niveau de l’éducation, nous sommes en train d’expérimenter des partenariats avec des entreprises qui ont des difficultés sur leur recrutement. Par exemple, sur notre bac +3 vente, nous sommes en partenariat avec Century 21. Dans une classe de 30 étudiants, on en a 12 qui font leur alternance dans cette entreprise. En plus des cours donnés par le certificateur, des collaborateurs de Century 21 viennent leur donner des cours d’approfondissement. C’est une formule qui intéresse beaucoup les entreprises. Ce que je trouve formidable, c’est de continuer à expérimenter. […]
Comment voyez-vous l’évolution du secteur de l’enseignement supérieur ?
Odile Gonzalez : C’est un secteur qui est complexe. On voit plein de petites formations émerger, certaines ne sont pas sérieuses et, personnellement, ça me fait peur. Être trop spécifique, ce n’est pas la demande des entreprises. Aujourd’hui, on commence par un métier, mais il faut savoir évoluer et être agile. On peut commencer en étant commercial, passer par le marketing, puis le packaging, etc… On nous demande dans l’enseignement supérieur d’être de plus en plus pointu, mais je ne suis pas tout à fait d’accord. […]
Est-ce que vous souhaitez que les enseignants aient de plus en plus d’expérience en entreprise ?
Odile Gonzalez : Ce serait formidable. À l’ESC Compiègne, chaque professeur suit minimum cinq jeunes en alternance et se rend dans les entreprises afin de voir ce qu’ils font. Ils sont super contents parce qu’ils en apprennent beaucoup et gardent le lien avec l’entreprise, car généralement, soit ils ont travaillé pendant 10 ans, soit ils sont encore en activité. Cela leur donne une ouverture sur la culture d’entreprise, qui évolue beaucoup. […]