À l’ère de l’intelligence artificielle, les métiers du jeu vidéo sont-ils en danger ? Entretien avec Bruno Marion, directeur créatif du studio Gameleon et directeur pédagogique de Game Sup, école supérieure des métiers du jeu vidéo, à Lyon.
Comment est perçue l’intelligence artificielle dans le secteur du jeu vidéo ?
Bruno Marion : L’IA, c’est une grande question ! D’un côté, on constate des levées de boucliers. Les artistes concepteurs et conceptrices 2D ont peur d’être remplacés car l’IA parvient à créer une image à partir d’un simple prompt. D’un autre côté, elle est bienvenue parce qu’elle fait gagner un temps de développement conséquent.
En quoi est-elle utile ?
Bruno Marion : L’un des avantages de l’IA peut concerner la gestion des NPC, les personnages non joués dans le jeu vidéo. Pendant des années, on scriptait les réponses, phrase par phrase, en se mettant à la place du personnage. Aujourd’hui, grâce à l’IA, ces NPC ont leur propre identité prédéterminée et peuvent réagir en temps réel aux actions des joueurs sans que leurs dialogues n’aient été écrits. D’un point de vue utilisateur et expérience de jeu, ça change la donne ! Les habitants d’une ville entière peuvent ainsi réagir à vos actions. Ce qui aurait représenté un travail monstrueux pour un game designer ou un scénariste. On peut aussi grâce à la combinaison de l’IA et aux moteurs de jeu proposer des changements adaptés spécifiquement aux compétences des joueurs et cela pour chaque utilisateur du jeu et en temps réel. On est très loin des premiers jeux vidéo !
L’IA permet de gagner en productivité…
Bruno Marion : Oui, et donc de réduire les coûts. Mais surtout, elle enlève des tâches rébarbatives pour les équipes qui récupèrent du temps pour travailler leur art. Ça aide aussi à se faire comprendre. Moi, par exemple, je suis game designer, je n’ai pas à savoir dessiner. Quand j’ai des idées de mécanique ou d’environnement, j’utilise un peu l’IA pour montrer plus précisément à mon concepteur ou ma conceptrice artiste 2D l’idée que j’ai en tête. Ils travaillent à partir de celle-ci et on évite bon nombre d’aller-retour.
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Et la réalité virtuelle (VR), a-t-elle modifié le secteur ?
Bruno Marion : Que ce soit un jeu vidéo ou de la VR, le processus d’opération reste sensiblement le même. La seule différence, c’est qu’en réalité virtuelle, les casques, par exemple, sont moins performants. Il faut donc optimiser davantage les travaux des artistes 3D pour qu’ils s’affichent correctement. Ce qui est intéressant, c’est l’arrivée d’outils comme Chat 3D qui permettent à n’importe qui de générer de la 3D à partir de prompts. Si les objets sont vus de loin et n’ont pas besoin d’être manipulés, on peut les créer automatiquement grâce à l’IA et gagner énormément de temps. Le risque, c’est d’être remplacé un jour. Cela pose des questions éthiques. Est-ce qu’on gagne du temps pour gagner en qualité de produit ou pour employer moins de personnes ? C’est toujours la même problématique.
Y a-t-il d’autres innovations récentes ou en cours qui révolutionnent le domaine ?
Bruno Marion : La traduction automatique dans toutes les langues n’était pas aussi performante il y a quatre ou cinq ans mais est devenue un classique. C’est très pratique quand vous sortez un jeu vidéo qui doit être traduit en 28 langues ! Des vérifications humaines sont toujours nécessaires. Les outils comme ChatGPT peuvent faciliter la narration, donner des idées, relire nos scénarios… À force de travailler avec cet outil, en version payante, il analyse nos propres écrits et propose des formulations que nous aurions pu faire. Mais là encore, éthiquement, si l’IA est entraînée sur des œuvres d’artistes sans en avoir les droits, cela pose problème.
Comment y préparez-vous les futurs professionnels ?
Bruno Marion : Nous ne faisons pas utiliser l’IA à nos étudiants parce que nous voulons qu’ils acquièrent le savoir-faire traditionnel. Sans cela, on risque un appauvrissement des compétences et une dépendance à ces technologies. Une fois qu’ils savent faire, ils peuvent s’aider de l’IA pour gagner en productivité. Mais quand on ne sait pas faire soi-même, on n’a pas l’œil pour savoir si l’IA l’a fait correctement et on est incapable de corriger ce qu’elle a réalisé.
Avec des progrès aussi rapides, ces métiers ne sont-ils pas amenés à disparaître ?
Bruno Marion : Certains peut-être. Avant, on testait le jeu de A à Z pour déceler les bugs. Aujourd’hui, avec l’intelligence artificielle, le jeu vidéo est lancé tout seul, le personnage vit sa vie et les bugs sont signalés. Ce métier va être challengé ou modifié. Pour les traducteurs et les doubleurs, à terme, ce sera, je pense, compliqué. Pour Star Wars, par exemple, on parvient même à faire apparaître en 3D Carrie Fisher alors qu’elle est décédée… Mais pour l’instant, on est très loin de remplacer des personnes par de l’IA pour la 2D.
Constatez-vous déjà des impacts sur l’emploi ?
Bruno Marion : Nous n’avons pas de baisse d’employabilité de nos étudiants. Malgré un contexte économique délicat pour beaucoup d’industries, le jeu vidéo représente toujours 5,5 milliards d’euros en France. J’ai 80 % de mes dernières années qui sont déjà en stage ou en poste, contre 70 % l’année passée. Quand j’ai commencé, il y avait trois écoles en France qui faisaient du jeu vidéo, désormais il y a 200 formations, soit 800 à 900 nouveaux diplômés sur le marché de l’emploi chaque année. L’industrie ne peut pas tous les accueillir mais ceux qui ont un book de très bonne qualité sont employés.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : VR, IA… Quel avenir et quels débouchés pour le secteur du jeu vidéo :
L’intelligence artificielle transforme la création du jeu vidéo : L’IA permet de générer des images, de gérer des personnages non joués en temps réel et d’adapter les expériences de jeu vidéo à chaque utilisateur, réduisant ainsi les coûts et la charge de travail des équipes.
L’IA améliore la productivité et l’efficacité : Elle facilite la communication entre concepteurs et artistes, accélère la création d’éléments 3D via tools comme Chat 3D, et automatise certaines tâches répétitives tout en laissant la place à une créativité plus riche.
La réalité virtuelle et l’IA posent des défis éthiques/techniques : La réalité virtuelle nécessite d’optimiser les rendus pour les casques moins performants et l’IA permet de générer rapidement des objets 3D, soulevant néanmoins des questions sur l’impact des automatisations sur l’emploi.
Les innovations technologiques facilitent l’expansion internationale : Cependant, elles suscitent aussi des préoccupations éthiques liées au droit et à la propriété intellectuelle, notamment l’usage d’œuvres d’artistes sans leur consentement.
Les formations des écoles restent traditionnelles : Le secteur du jeu vidéo maintient une forte demande d’employés qualifiés, et malgré l’intégration croissante de l’IA, l’apprentissage opérationnel traditionnel demeure essentiel pour préserver les compétences et la qualité du travail.















