Devenir prof, toujours une vocation ?

Devenir prof, toujours une vocation ?

La rentrée 2024 a mis en lumière une pénurie d’enseignants sans précédent en France, avec plus de 3 000 postes vacants. Le métier de professeur, longtemps guidé par des valeurs d’altruisme et d’utilité sociale, suscite-t-il toujours des vocations ? Quel avenir attend “le plus beau métier du monde” ?


La pénurie d’enseignants s’inscrit dans une crise de recrutement qui perdure depuis les années 2000. Malgré plusieurs réformes visant à améliorer les conditions de travail, le nombre de candidats aux concours de l’enseignement n’a cessé de diminuer, enregistrant une chute de 50 % entre 2010 et 2020, selon le ministère de l’Éducation nationale. 

Longtemps considéré comme une vocation, guidé par des valeurs d’utilité sociale et d’altruisme, le métier de prof a-t-il aujourd’hui perdu toute attractivité ? Géraldine Farges, Professeure des universités en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Bourgogne et chercheuse à l’IREDU (Institut de Recherche sur l’Éducation), affirme que « la notion de vocation est toujours prégnante dans les enquêtes, lorsqu’on demande aux enseignants pourquoi ils ont choisi cette voie. Ils font référence à une raison supérieure qui les a guidés vers ce métier. » Les candidats en étude supérieure se font cependant plus rares, rebutés par des conditions de travail dégradées et des salaires peu attractifs, qui ne parviennent plus à compenser d’autres avantages matériels comme la flexibilité des horaires.  

Les faibles rémunérations du secteur sont aujourd’hui l’un des freins principaux au métier d’enseignant. Avec un salaire de départ qui avoisine les 2000 euros net à bac+ 5, les jeunes diplômés préfèrent souvent se diriger vers des secteurs plus lucratifs, en particulier dans les domaines scientifiques. À cela, s’ajoute la difficulté d’une affectation géographique fréquemment subie durant les premières années, l’impossibilité de choisir son niveau de classe, ses élèves, son établissement… 

Selon Géraldine Farges, les conditions de travail dégradées détournent les aspirants profs dès leurs études supérieures en licence, n’allant pas jusqu’au niveau de qualification. L’effet de la médiatisation des difficultés du métier ? Plus pernicieux, le développement des stages en serait une des causes. « Les études supérieures se professionnalisent et les étudiants sont envoyés sur le terrain très tôt. C’est une bonne chose en soi mais cela les confronte de façon précoce à la réalité du métier, loin de leur imaginaire. Ils sont nombreux à se réorienter en cours d’études. » 

Léo Heloire est professeur d’histoire-géographie au lycée Jean Rostand de Villepinte (Seine-Saint-Denis), où il enseigne depuis 6 ans. Il pointe également du doigt les salaires faibles, « une ineptie totale », et des conditions de travail de plus en plus dures. « On se retrouve le plus souvent avec des classes de 34 élèves en Première générale, où il est impossible d’individualiser l’accompagnement des élèves en difficulté. » Le jeune professeur de 31 ans, d’origine parisienne, s’estime plutôt chanceux de son affectation, quand « d’autres professeurs arrivent par exemple de Guadeloupe et se retrouvent dans une situation de déracinement total, d’inconfort et d’incompréhension culturelle. » Changer d’académie s’apparenterait à un véritable parcours du combattant : les académies couvrent des zones géographiques très vastes, on ne choisit pas vraiment sa destination. En général, il faut rester au moins cinq ans dans un établissement pour espérer une nouvelle affectation pour l’année scolaire suivante.

Malgré ces conditions difficiles, la France compte toujours presque 900 000 enseignants. Léo Héloire, qui n’apprécie guère le terme de vocation, rappelle qu’ « enseigner est avant tout un métier, qui n’est certes pas le mieux payé du monde mais qui a ses avantages : du temps libre et un emploi du temps relativement flexible. » Et par-delà, une utilité sociale qui semble toujours animer le corps professoral : « Je peux parler pour beaucoup de mes collègues : peu importe finalement la matière qu’on enseigne, ce qui nous intéresse, c’est d’aider ces jeunes et de former des citoyens. »

Avec une nouvelle génération en quête de sens qui arrive sur le marché du travail, va t-on voir naître plus de vocations pour ce qu’on appelle communément “le plus beau métier du monde” ? « On pourrait le supposer et l’espérer », comment Géraldine Farges, « mais comme d’autres métiers du service public – les soins, la santé – le métier d’enseignant est exposé à une mutation : on s’attend à ce qu’il devienne référent, qu’il prenne en charge des tâches managériales, il y a plus de fiches à remplir et de comptes à rendre : tout cela détourne les enseignants de l’humain, des compétences pédagogiques, qu’ils considèrent être le coeur du métier et qui les a menés là par vocation. » Ces transformations sont à surveiller de près pour ne pas détourner la nouvelle génération de professeurs d’un métier aussi noble qu’utile.


(vérifié par notre rédaction)

Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : la vocation d’enseignant face aux défis actuels de la profession.

Pénurie d’enseignants : La rentrée 2024 a mis en lumière une pénurie alarmante d’enseignants en France, avec plus de 3 000 postes vacants, révélant des problèmes persistants de recrutement dans le secteur éducatif depuis les années 2000.

Stéréotypes de vocation en mutation : Bien que le terme “vocation” demeure présent dans le discours des enseignants et des professeurs des écoles, les conditions de travail difficiles, les faibles salaires et la perte d’autonomie nuisent à l’attractivité du métier pour les nouvelles générations.

Salaires et conditions de travail : Le début de carrière d’un enseignant, avec un salaire d’environ 2 000 euros net, est souvent jugé peu compétitif par rapport à d’autres secteurs, ce qui pousse de nombreux jeunes diplômés à avoir accès à des opportunités mieux rémunérées.

Impact des stages et professionnalisation : L’accès à des processus d’apprentissage et des stages précoces dans la formation d’enseignant ou de professeur des écoles, exposent les étudiants à la réalité du métier trop tôt. Cela peut entraîner des réorientations de carrière avant même l’obtention de leur diplôme.

Avenir du métier : Malgré les défis, l’engagement envers l’éducation et le désir d’aider les jeunes demeurent un moteur pour presque 900 000 enseignants en France, encore au rendez-vous. Pour attirer de nouveaux candidats, il est essentiel de préserver l’aspect humain des métiers de professeur des écoles et enseignants, face aux évolutions managériales et administratives qui pourraient en altérer la portée.