Référencer son école

« Diriger, c’est entrer dans une vibration » : Entretien avec Philippe Fournier, Chef d’orchestre 

8 Min. de lecture
« Diriger, c’est entrer dans une vibration » : Entretien avec Philippe Fournier, Chef d'orchestre 

Philippe Fournier dirige l’Orchestre Symphonique Confluences qu’il a fondé à Lyon il y a quarante ans. Il voit dans ce métier un art de la relation, où l’exigence technique compte moins que la capacité à créer un espace collectif et à ressentir la musique. 


Philippe Fournier : Vers 8 ans, je disais déjà que je voulais être chef d’orchestre. Pourquoi ? Je n’ai jamais trouvé la réponse et aujourd’hui je ne la cherche plus. C’est un mystère que j’ai fini par trouver joli. Mais à 10 ou 11 ans, alors que les autres gamins écoutaient de la variété, je rentrais chez moi pour écouter un vieux coffret de musique classique que mes parents avaient gagné dans une sélection Reader’s Digest. 

Peu après, j’ai commencé à acheter des partitions, alors que je ne savais même pas les lire correctement. Je les déchiffrais en écoutant les disques : j’étais fasciné. À cette époque, je jouais du saxophone dans une école de musique, mais ce qui me captivait, c’était le tout, l’ensemble, le lien entre les instruments.

Philippe Fournier : Oui, j’habitais à la campagne, dans un petit village. Il y avait là un chef d’orchestre à la retraite. Je lui répétais sans cesse que je voulais diriger. Un jour, il m’a dit : « Tu viens me voir quand tu veux. » J’avais 12 ans et je prenais mon vélo pour aller chez lui. Il me faisait monter sur un tabouret, sans orchestre, face à lui. Il me disait : « Vas-y, dirige. Qu’est-ce que tu ressens ? Pourquoi ce geste ? » On travaillait comme ça, dans sa cave, pendant des années. 

Il lui arrivait de mettre un opéra de Wagner ou de Puccini et on écoutait en suivant la partition. Je le voyais pleurer devant la musique, et moi j’étais là, fasciné. Il m’a tout transmis sans jamais chercher à m’enfermer. C’est là que j’ai compris que diriger, ce n’était pas donner des ordres, mais traduire une émotion collective.

Philippe Fournier : J’ai suivi des cours au conservatoire, puis à l’École normale de musique de Paris, où j’ai obtenu mon prix. J’ai aussi exploré la pédagogie, la musicothérapie, l’électronique. Je crois profondément que plus on monte en expertise, plus il faut avoir une base large. L’intuition musicale s’enrichit du corps, de la physique, de la philosophie. Un chef est un traducteur du sensible, pas un technicien isolé.

Philippe Fournier : Il faut être un musicien complet, curieux, cultivé. Connaître l’harmonie, l’orchestration, l’histoire, mais aussi travailler sa posture, son souffle, son regard. Je dis souvent : 40 % de technique, 60 % de sensoriel. Un geste ne suffit pas, il doit vibrer. Diriger, c’est comme respirer à plusieurs. Ce qui compte, c’est la justesse de l’intention, pas la perfection métronomique. Le clic, les machines, les tempos figés : tout cela tue l’émotion. Ce qui touche, c’est ce petit ralentissement imprévu, ce frottement. L’imperfection, c’est ce qui rend une interprétation vivante.

Philippe Fournier : Depuis 1979, je forme des chefs d’orchestre de tous âges et de tous horizons. L’apprentissage n’est pas qu’intellectuel : il est sensoriel, émotionnel, corporel. Certains élèves sont techniquement irréprochables mais ne font rien passer comme émotion. Puis un jour, ils trouvent ce geste intérieur, ce moment où ça vibre. J’en ai vu pleurer. Diriger, c’est être traversé. Et plus on laisse de place à l’autre dans ce qu’on donne, plus l’orchestre réagit.

Philippe Fournier : Parce que la direction d’orchestre est une métaphore puissante du leadership. Je propose des ateliers sur l’écoute, la coopération, la posture du dirigeant. Dans une entreprise comme dans un orchestre, on peut tout verrouiller… mais si on ne laisse pas une part de liberté, rien ne résonne. Je me souviens d’un grand patron qui m’a dit : « Vous ne m’avez rien appris aujourd’hui, mais vous venez de changer ma vie. » Il avait ressenti, au lieu de comprendre. Et c’est là que les choses bougent.

Philippe Fournier : À 20 ans, j’ai créé l’Orchestre Symphonique Confluences, sans subvention, à Lyon. J’ai tout fait : direction musicale, gestion, communication, levée de fonds. Les institutions locales ne voulaient pas d’un troisième orchestre. Alors je me suis tourné vers les entreprises. J’ai conçu des formats pour elles : lancement de produits, mécénat actif, formations au management. J’ai, par exemple, vendu un disque de musique classique à 30 000 exemplaires en l’intégrant à une opération de marketing direct d’une entreprise de meubles. Je ne voulais pas survivre, je voulais exister.

À LIRE AUSSI

Zoom sur le quotidien des étudiants en école de danse
Écoles de théâtre : le Cours Florent vu de l’intérieur

Philippe Fournier : Oui. J’ai dirigé du jazz, de l’opéra, du hip-hop, des spectacles de chevaux, des circassiens, des comédiens. La musique n’est pas un monde à part : elle est au cœur de la vie. Beethoven ne m’intéresse pas en tant que Beethoven : il m’intéresse pour ce qu’il éveille en moi. Et si cela me touche, j’ai envie que ça vous touche aussi. C’est la même chose avec Grand Corps Malade ou, plus récemment, Ibrahim Maalouf. La musique est un vecteur, un outil de lien, pas une fin en soi. J’ai eu la chance de créer des spectacles avec Éric-Emmanuel Schmitt, Marc Jolivet, Pierre Richard… À chaque fois, ce sont des aventures humaines, des rencontres qui laissent une trace durable.

Philippe Fournier : Ne vous contentez pas d’apprendre la musique. Apprenez la vie. Créez, rencontrez, osez. Frappez aux portes. Montez vos propres projets. Beaucoup viennent me voir avec cette envie. Et très vite, ils découvrent que ce métier n’a rien d’un exercice solitaire ou autoritaire. C’est une posture fondée sur la relation. Un chef, c’est 40 % de compétences techniques, et 60 % de don de soi. Ce que vous avez à transmettre, vous ne le connaissez pas encore. C’est la musique qui vous le révèle.

Chaque partition est un miroir, une œuvre vous traverse, vous déplace, comme le ferait un texte littéraire, une rencontre ou même un travail manuel. Tout résonne, et tout vous façonne.

Être chef d’orchestre, c’est rechercher en permanence un équilibre. Il faut donner de la liberté, mais pas trop ; cadrer sans étouffer. Si je verrouille tout, l’orchestre sonne à moitié. Si je lâche tout, c’est le chaos. Le bon son émerge quand chacun trouve sa place, quand le geste du chef permet à l’autre d’exister. C’est un art de la nuance, profondément humain, et infiniment instable — donc vivant.

Philippe Fournier : C’est souvent une révélation. Parce qu’on ne leur demande pas de reproduire un savoir : on les aide à se découvrir. Ce que je cherche, c’est leur potentiel, leur singularité. Je leur dis : voilà ta force, sculpte-la. Et là, ta faiblesse, travaille-la, sans honte. On construit ensemble un plan de travail sur plusieurs années. Parce que ressentir, transformer, incarner, ça prend du temps. Et chacun va à son rythme. Certains avancent lentement mais profondément. D’autres vont vite, et parfois très loin.

Philippe Fournier : Pour faire court, diriger, c’est entrer dans une vibration. Et ce n’est pas un mot ésotérique : c’est un phénomène physique, acoustique, émotionnel. J’ai une formation en physique, et je m’en sers. Tout passe par les lois de résonance, de mouvement, d’énergie.

Le chef d’orchestre est un véhicule d’énergie. Il ne produit pas : il transmet. Il faut donc avoir une conscience aiguë de son geste, de son regard, de sa pensée, de sa posture intérieure. Ce que vous êtes s’entend. Et ce que vous laissez vibrer peut, soudain, embarquer tout un orchestre — et tout un public.


(vérifié par notre rédaction)

Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : « Diriger, c’est entrer dans une vibration » : Entretien avec Philippe Fournier, Chef d’orchestre

Le partage d’une passion intuitive et d’un lien émotionnel : Dès l’enfance, Philippe Fournier est fasciné par la musique classique et le lien entre les instruments. Son initiation avec un mentor lui a permis de comprendre que diriger consiste à transmettre une émotion collective, pas simplement à donner des ordres.

La maîtrise technique alliée à la sensibilité : Pour diriger, il faut être un musicien complet, cultivé et curieux, combinant savoir technique (harmonie, orchestration) et sensibilité. La justesse de l’intention est primordiale, et l’imperfection vivante valorise l’interprétation.

La transmission par le corps et l’émotion : La pédagogie de Philippe Fournier insiste sur une formation sensorielle, émotionnelle et corporelle, où le geste intérieur et la capacité à ressentir la musique sont essentiels. Diriger, c’est vibrer et laisser place à l’émotion pour faire réagir l’orchestre.

La musique comme métaphore du leadership en entreprise : Les ateliers en entreprise soulignent que le rôle de leader repose sur des qualités d’écoute, sur la liberté et la relation entre être humain. La direction orchestrale devient une approche différente mais puissante pour encourager la coopération et l’engagement.

La vibration comme essence du métier : Diriger, c’est entrer dans une vibration physique et émotionnelle, utilisant les lois de la résonance pour transmettre une énergie, un message qui mobilise ensemble l’orchestre et le public. C’est un art fondé sur la nuance, l’équilibre, l’humain, une constante volonté d’ouverture.

Vous aimerez aussi !
Un professeur d'équitation donne cours à ses élèves.
4 bonnes raisons de s’orienter vers les métiers de l’équitation

Les métiers de l’équitation ont le vent en poupe et ...

4 Min. Formations

groupe-de-personnes-preparant-un-plan-d-affaires-dans-un-bureau
Graduate Programme (ou “Graduate Program”) : c’est quoi ?

Un Graduate Programme est un parcours structuré proposé par les ...

6 Min. Formations, Orientation, Vocations

Thimoté Polet, étudiant et skipper.
Thimoté Polet, étudiant et skipper de 25 ans : « Je tiens à aller au bout de mon master ! »

Thimoté Polet, skipper et étudiant à la Grenoble École de ...

7 Min. Campus étudiants, Formations, Missions et engagement, Orientation, Vie étudiante, Vocations

Une jeune femme consulte son ordinateur
Comment accompagner les élèves face à la complexité du calendrier Parcoursup ?

Plus d’un jeune sur deux se dit mal accompagné dans ...

4 Min. Orientation, Parcoursup

Carole Marsella, DG de L'ICAM
À l’Icam, les valeurs humaines font tomber les barrières de genre

Avec 30 à 40 % de jeunes filles selon les ...

4 Min. Formations, Orientation

Une poignée de main entre deux hommes
Le commerce fait encore rêver les jeunes, mais quel commerce ?

Beaucoup de jeunes rêvent de devenir influenceur, avec des millions ...

4 Min. Monde du travail, Orientation, Vocations

Les étudiants de GEM en atelier de Design Fiction.
Design fiction : quand les étudiants de GEM conçoivent les jobs de rêve du futur

Dans un monde traversé par les crises et les transitions, ...

5 Min. Formations

devanture Hermes
Ces entreprises françaises ont créé leurs propres écoles : Hermès, Free…

De grandes entreprises françaises comme Hermès, LVMH ou Free ont ...

7 Min. Formations, Orientation, Reconversion, Vie professionnelle, Vocations

Des élèves en classe.
Miser sur des professionnels experts pour former les jeunes, pourquoi ça marche ? 

L’école de communication Sup de Pub fait appel à des ...

4 Min. Formations, Orientation

Malene Rydahl autrice, conférencière et enseignante à Sciences Po Paris.
« L’empathie est une compétence essentielle pour éduquer et préparer les métiers de demain »

Bienvenue dans 20 sur 20, le podcast de L’Express Éducation. ...

3 Min. Formations, Monde du travail, Orientation

femme sur son téléphone
BTS en Commerce et Vente : quelles formations existent ?

S’il n’existe pas de BTS intitulé Commerce, plusieurs formations permettent ...

5 Min. Formations, Orientation

Jean-Baptiste Morin devant un amphithéâtre.
Carriérologie : une orientation solide pour une société liquide

Le XXe siècle et les précédents ont organisé la connaissance. ...

9 Min. Formations