Avoir un pied dans le monde de l’entreprise et un autre à l’université ? Oui, c’est aussi possible en doctorat, avec le dispositif CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche). Ce dispositif permet aux entreprises de recruter un doctorant, en collaboration avec un laboratoire public.
Alix Hervé, docteure en écologie, a choisi cette forme de doctorat pour finaliser ses études dans la recherche et acquérir une plus-value sur le marché du travail. Elle témoigne.
Témoignage d’Alix Hervé, docteure en écologie
Quel a été votre parcours d’études ?
Alix Hervé : Au lycée, je souhaitais faire une école vétérinaire, donc je m’étais déjà conditionnée à faire des études assez longues. Arrivée à la faculté, j’ai rencontré des enseignants-chercheurs qui possédaient un doctorat et qui m’ont familiarisée avec ce diplôme. J’ai obtenu une licence en biologie des organismes avant de faire un master en écologie à Paris.
J’ai ensuite démarré mon doctorat en 2019, jusqu’en 2023. Je l’ai mené en contrat CIFRE avec une entreprise privée, en plus du laboratoire public rattaché à l’université. Le sujet de ma thèse CIFRE se focalisait sur la standardisation de protocoles d’échantillonnage pour les suivis piscicoles dans les lacs, via l’ADN environnemental. J’ai travaillé directement sur le développement et l’amélioration de protocoles. Ils ont été ensuite utilisés par l’entreprise qui a financé ma thèse.
BON À SAVOIR
En passant par un contrat CIFRE, l’instruction du dossier auprès de l’ANRT (Association Nationale Recherche Technologie) est plus longue qu’un contrat classique. L’organisme doit valider ou non le projet, il faut donc compter une période d’environ 3 mois d’instruction. Le dossier contient, entre autres, les informations du candidat.
Quelles sont les différences entre une thèse classique et une thèse CIFRE ?
Alix Hervé : Le contrat CIFRE est tripartite. Les doctorants réalisent leurs trois années de thèse en collaboration avec une entreprise et un laboratoire de recherche académique. Dans mon cas, le président de l’entreprise a vraiment fait partie de l’équipe encadrante, ce qui est un atout. Parfois, il s’agit seulement d’une personne du service R&D, qui est le référent “entreprise” dans l’équipe.
Au sein d’un doctorat classique, le contrat est signé entre un doctorant et un laboratoire, rattaché à l’université. L’étudiant est employé du laboratoire, là où en thèse CIFRE on est généralement employé par l’entreprise.
Comment se passe la phase d’admission afin d’intégrer le doctorat ?
Alix Hervé : Lorsque vous réalisez un doctorat, il y a deux possibilités. Si vous souhaitez passer une thèse avec l’école doctorale et l’université, vous devez obtenir un concours. Des encadrants déposent au préalable leurs sujets à l’école doctorale. Le candidat doit montrer qu’il a compris le sujet et présenter sa vision de comment le mener à bien.
Dans le cadre d’une thèse CIFRE, j’ai trouvé une annonce parmi une liste de diffusion de métiers autour de l’écologie. J’ai postulé à l’aide d’un CV et d’une lettre de motivation. Par la suite, il faut passer un entretien afin de présenter ses expériences et expliquer comment on imagine la réalisation de la thèse et notre compréhension du sujet.
Le doctorat s’organise en 3 années d’étude riches.
Alix Hervé : Oui. Concernant notre doctorat en biologie, la première année est dédiée à l’acquisition de données. Nous avons un an complet consacré à l’échantillonnage, qui doit se faire généralement au cours des quatre saisons. Une année propice au terrain pour récupérer des données. Il y a aussi tout un travail de recherche bibliographique puis de veille, car il y a souvent de nouveaux articles sur de nouvelles connaissances.
En deuxième année, avec les données récupérées, débute la phase d’analyse de statistiques. Nous commençons à obtenir les premiers résultats et à réfléchir à l’écriture des premiers articles. Pourquoi ? Lorsque l’on soutient une thèse CIFRE aujourd’hui, la plupart des écoles doctorales demandent, à minima, un article scientifique publié dans une revue à comité de lecture. Il est important d’anticiper cette étape du parcours qui est assez longue, entre la rédaction et la relecture. Des colloques sont également organisés afin de rencontrer les autres membres de la communauté scientifique.
Enfin, la troisième année est consacrée à la finalisation des articles scientifiques, avant que les étudiants se lancent dans la rédaction du manuscrit et la préparation de la soutenance.
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Quels sont les avantages de la formation ?
Alix Hervé : Aujourd’hui, j’ai assez de recul pour décerner les points positifs, qui sur le moment, ne transparaissent pas forcément. C’est une expérience qui est stimulante intellectuellement. Elle permet de creuser profondément un sujet, au-delà de ce que l’on fait habituellement au quotidien. C’est assez passionnant. Nous pouvons également tester plein de choses, surtout lorsque les encadrants de thèse sont assez flexibles. Il est possible de proposer des améliorations dans les protocoles expérimentaux, sur le terrain, etc. Nous avons déjà un pied dans la gestion de projet, sans l’obligation de suivre ce que les encadrants ont prévu.
Le doctorat favorise également les rencontres professionnelles. Participer à des colloques scientifiques, c’est quelque chose de vraiment demandé dans la formation doctorale. Nous pouvons rencontrer des personnes du monde entier, discuter de nos problématiques et faire progresser notre vision du sujet.
À l’inverse, quelles sont les inconvénients de la thèse CIFRE ?
Alix Hervé : L’un des inconvénients du doctorat en France, c’est sa durée. Elle est trop courte, surtout lorsque l’on compare au Canada ou aux États-Unis. Deux pays reconnus pour la qualité de leur recherche scientifique. Les doctorants américains préparent des thèses, à minima, de quatre ou cinq ans. En France, trois ans est donc très court.
En termes de production scientifique, nous avons beaucoup moins d’articles que les doctorants étrangers. Dans le monde du travail, quand nous cherchons à réaliser des contrats post-doctoraux* nous avons beaucoup moins d’arguments de vente.Un chercheur se vend par le nombre et la qualité des articles scientifiques qu’il a rédigés. Les doctorants français sortent de thèse avec généralement un ou deux articles, en moyenne. Un autre point est la mauvaise compréhension d’un doctorat et la plus-value d’un jeune docteur.
À l’embauche, notre diplôme fait peur. Dans une entreprise conventionnée, nous possédons le plus haut niveau de diplôme, donc nous coûtons assez cher. Les entreprises sont aussi persuadées de notre manque d’expérience. Pour eux, un doctorat est un diplôme, où nous avons suivi des études mais sans réelle expérience de travail. C’est sur ce point que la thèse CIFRE se démarque du doctorat normal. Au sein du doctorat en entreprise, nous avons un contrat de travail d’ingénieur de recherche dans une entreprise privée. Les étudiants de thèse universitaire sont également des ingénieurs de recherche mais ils sont intégrés à des labos et sont donc davantage enfermés dans le monde académique.
Post-doctorat, qu’avez-vous choisi de faire ?
Alix Hervé : Ma thèse CIFRE réussie, je ne souhaitais pas forcément continuer dans la recherche à cause des débouchés et de l’instabilité de ce domaine. Comptez une dizaine d’années avant d’avoir un poste de titulaire. J’ai préféré partir dans le privé. J’ai fait une petite pause, en passant par du bénévolat, avant d’être embauché en juillet 2024 dans une entreprise pour faire du conseil en environnement.
Quels conseils partageriez-vous aux étudiants qui souhaitent se lancer ?
Alix Hervé : Je conseillerais aux étudiants de faire une thèse CIFRE. Le fait d’avoir un partenaire privé dans son encadrement de thèse permet de voir d’autres choses et de se vendre davantage comme un professionnel par la suite. C’est beaucoup plus rassurant que de se présenter comme un ancien doctorant.
Si un étudiant a envie de se lancer, qu’il fonce. C’est une très belle expérience, mais qui est émotionnellement très dure. C’est à la fois un marathon, car nous travaillons pendant trois ans sur le même sujet, et un sprint lors des huit derniers mois, avec l’écriture du manuscrit de thèse**. Il m’est arrivé de travailler 18 heures par jour, pendant plusieurs semaines. Mon conseil est de vraiment bien s’entourer afinde relâcher la pression.
Il faut également bien choisir son sujet. Il doit plaire aux étudiants car pendant trois ans il est travaillé sous tous les angles possibles. L’équipe encadrante est également un facteur de réussite. C’est ce qui m’a permis de finir ma thèse CIFRE et de ne pas abandonner.
BON À SAVOIR
Un dispositif d’aide nommé “Jeune Docteur”, mis en œuvre en 2008, favorisait l’embauche des doctorants fraîchement diplômés en entreprise et en CDI. Il encourageait les entreprises à recruter des docteurs dans des fonctions de recherche immédiatement après leur diplôme. Cette aide a été supprimée, suite au vote du budget de l’État pour 2025.
Qu’est-ce que le doctorat vous apporte aujourd’hui ?
Alix Hervé : Sur le plan professionnel, j’ai développé une bonne capacité de synthèse. Durant ces trois ans d’études, il faut ingurgiter beaucoup d’informations et les synthétiser au maximum. On acquière par conséquent une meilleure capacité à gérer son temps et une meilleure résistance à la pression. Sur le plan personnel, j’ai développé l’estime de moi. Maintenant quand je me dis que je ne peux pas faire quelque chose, je me rappelle que j’ai réalisé ce parcours qui n’est pas anodin !
*Les contrats post-doctoraux sont des CDD que l’on peut avoir après l’obtention d’une thèse. Axés sur une thématique de recherche précise, ils permettent de gagner en expérience en tant que chercheurs avant de postuler à une titularisation dans le public.
** Le manuscrit de thèse est le document final qu’ils envoient à leur jury, qui retrace tout leur travail, afin de prétendre à l’obtention du diplôme.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Le doctorat en entreprise (CIFRE) : une réelle valeur ajoutée
Le dispositif CIFRE : Ce dispositif permet aux étudiants de réaliser leur thèse en partenariat avec une entreprise et un laboratoire public, offrant une immersion dans le monde professionnel tout en préparant une soutenance de thèse.
Organisation et déroulement du doctorat CIFRE : La formation dure trois ans. La phase de collecte de données se déroule la première année, s’en suit une analyse et la rédaction d’articles scientifiques en deuxième année. La finalisation du manuscrit et la soutenance interviennent en dernière année.
Avantages du doctorat en entreprise : Outre la spécialisation approfondie sur un sujet, il offre une expérience valorisante en gestion de projet, rencontres internationales, et une meilleure employabilité post-diplôme, notamment par la proximité avec le monde professionnel.
Limites et défis : La durée courte d’une préparation de la thèse CIFRE par rapport à d’autres pays, le faible nombre d’articles scientifiques produits, et une mauvaise perception du doctorat en entreprise par certains employeurs, peuvent limiter la valorisation du diplôme et l’emploi des docteurs.
Conseils pour réussir et tirer profit du doctorat CIFRE : Les candidats à ce diplôme doivent choisir un sujet passionnant, s’entourer d’un bon encadrement, et se préparer à un engagement intense pour faire de cette expérience un atout professionnel et personnel durable.













