Depuis le 1er juillet, de nouvelles mesures concernant le financement de l’apprentissage sont en place. Une réforme qui ne passe pas auprès de certains acteurs de l’enseignement supérieur.
Entretien croisé avec Stéphane de Miollis, directeur général exécutif du groupe Igensia Education et Nizarr Bourchada, Directeur Général Adjoint en charge des partenariats entreprise, de l’alternance et de l’insertion du même groupe.
5questions à Stéphane de Miollis et Nizarr Bourchada

Une réforme du financement de l’apprentissage est entrée en vigueur le 1er juillet dernier. Comment voyez-vous ces évolutions ?
Stéphane de Miollis : Il convient de mettre d’abord en perspective l’évolution des textes de loi. La loi Avenir de 2018 a eu un double succès : en volume, puisque nous avons atteint le million d’apprentis, et d’image, car cette loi a apporté une meilleure vision de l’apprentissage.
Mais derrière ce succès, il y a une rançon : le financement n’a pas suivi. Depuis trois ans, le niveau de prise en charge des formations en apprentissage est régulièrement raboté. Pour des écoles comme Igensia, ces incertitudes sur le financement peuvent avoir un impact sur notre organisation pédagogique. Nous sommes un acteur solide avec une taille critique donc aujourd’hui, nous pouvons anticiper ces changements. Cependant, s’il y a encore un coup de rabot, nous pourrions être en difficulté.
Nizarr Bourchada : Avec cette réforme nous ne sommes plus dans l’esprit de la loi Avenir qui était un choc de simplification. Les différentes mesures prises alourdissent la charge administrative des CFA qui doivent justifier chaque euro.
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Quels sont les risques avec cette nouvelle réforme qui réduit les fonds de l’apprentissage ?
Stéphane de Miollis : Lorsqu’on est un acteur avec 1 000 ou 2 000 apprentis, il existe deux effets, celui de la rentabilité qui consiste à combler les frais, l’autre composante est celle de la trésorerie. Aujourd’hui, c’est ce dernier aspect qui est mis en danger avec le nouveau décret publié le 27 juin.
Nizarr Bourchada : En effet, depuis le 1er juillet, les versements des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage sont proratisés en fonction du nombre de jours de formation. En parallèle, le calendrier de versements est lui aussi modifié en quatre versements. Cette complexité administrative risque d’avoir un impact sur la stabilité financière des CFA.
Par ailleurs, les entreprises voient aussi les aides baisser de manière significative. Elles sont passées de 6 000 à 2 000 euros pour certaines en février. C’est ainsi plus difficile pour elles de faire le choix de l’apprentissage. D’autant plus quand elles doivent aussi mettre la main au portefeuille avec un reste à charge de 750 euros par contrat pour les formations à partir du bac + 3.


Toutes ces mesures ont aussi pour but de lutter contre les fraudes et les abus de certains acteurs privés. N’est-il pas logique de remettre un cadre plus strict, surtout en période de crise ?
Stéphane de Miollis : Nous étions dans l’ère du volume, nous devons passer à l’ère de qualité. Tous les acteurs ne sont pas aujourd’hui au standard. Ces acteurs ont fait n’importe quoi, sans surveillance, et doivent aujourd’hui être contrôlés. L’État doit aussi augmenter son niveau d’exigence. Avec ces mesures, les opportunistes lucratifs sortiront du secteur comme ils y sont entrés.
Nizarr Bourchada : Par ailleurs, aujourd’hui, il existe de nombreux contrôles des formations entre Qualiopi, France compétences, la DGEFP… Nous devons aller vers une harmonisation de ces contrôles entre les différents organismes pour faire une seule évaluation au lieu de quatre.


Sur quoi devrait se fonder cette surveillance des formations ?
Nizarr Bourchada : Il faudrait plusieurs points de contrôle sur des indicateurs de performance. Mesurer l’insertion professionnelle, avoir un indice de position sociale pour voir comment on fait progresser les élèves. C’est le cas de notre école qui accueille des profils souvent éloignés de l’enseignement supérieur et de l’emploi.
Stéphane de Miollis : Il faut investir sur les compétences des jeunes et voir concrètement les établissements qui parviennent à insérer les diplômés efficacement. Nous avons un taux d’insertion de 91 % six mois après la sortie d’études. Or la qualité des formations se mesure aussi par ce taux de mise en emploi. Car mettre des jeunes à l’emploi c’est les retirer du chômage.

Dans un contexte de crise budgétaire majeure, comment l’État peut-il continuer à financer l’apprentissage ?
Stéphane de Miollis : Nous devons remettre à plat le système de formation pour être plus compétitif au regard de l’investissement engagé par l’État. Ce travail concerté entre les différents acteurs et l’État est essentiel pour établir un budget pérenne.
Je prône la création d’une loi de programmation, comme pour la défense, qui pourrait se focaliser sur les compétences dont la nation a besoin. Certains secteurs sont en tension et demandent des professionnels qualifiés. C’est le cas de l’industrie et du nucléaire. D’autres secteurs répondent à des enjeux stratégiques comme la transition et l’intelligence artificielle.
NOTRE RÉSUMÉ EN
5 points clés
PAR L'EXPRESS CONNECT IA
(VÉRIFIÉ PAR NOTRE RÉDACTION)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Quel impact des nouvelles mesures sur le financement de l’apprentissage ?
Une réforme qui complexifie et fragilise le modèle actuel
Depuis le 1er juillet, les versements des aides à l’apprentissage sont désormais proratisés selon les jours de formation et répartis en quatre temps. Cette nouvelle organisation alourdit la gestion administrative des CFA et menace leur trésorerie, en particulier pour les acteurs de taille intermédiaire.
Un désengagement financier pour les entreprises
Les aides accordées aux entreprises accueillant des apprentis ont été drastiquement réduites (de 6 000 à 2 000 euros pour certaines). Cela complique leur engagement, surtout quand elles doivent aussi assumer un reste à charge de 750 euros pour les formations à partir du bac+3.
Des objectifs de qualité et de lutte contre les abus
Le gouvernement justifie ces changements par la volonté de mieux encadrer le système et d’éliminer les acteurs opportunistes. Le secteur entre dans une phase de régulation renforcée pour garantir la qualité des formations, avec des contrôles plus exigeants.
Un appel à simplifier et harmoniser les contrôles
Les acteurs de terrain dénoncent une multiplication des audits (Qualiopi, France compétences, DGEFP…) et appellent à une évaluation unifiée. L’objectif : gagner en efficacité tout en assurant un suivi rigoureux des performances réelles des formations.
Une proposition pour bâtir un modèle pérenne
Face à la crise budgétaire, les experts plaident pour une loi de programmation dédiée à la formation, axée sur les besoins stratégiques du pays (industrie, IA, transition écologique). L’insertion professionnelle doit rester le principal indicateur d’efficacité.














