Un temps abandonnés, les stages ouvriers reviennent en force dans les écoles de commerce. L’objectif : confronter les étudiants à la réalité du terrain à travers des missions peu qualifiantes et leur ouvrir les yeux sur le monde du travail, le vrai.
6h30 du matin, dans une rue paisible de Clamart (92), Timothée F. est en chemin. Depuis trois jours, le jeune étudiant de l’Ieseg Business School, embauche à 7h au Monoprix de Meudon (92). Il décharge les palettes, colle les étiquettes, mets les produits en rayon et côtoie les magasiniers du supermarché. Comme tous ces camarades de promo, en fin de première année du PGE (Programme Grande Ecole), il réalise ce que son école appelle un stage d’ouverture professionnelle et sociale. Une expérience fondatrice de quatre semaines, obligatoire pour valider son diplôme. L’objectif ? « Que les étudiant découvrent soit le monde de l’entreprise au travers de missions peu qualifiées à des postes d’ouvriers, de manutentionnaires, d’employés polyvalents dans la restauration par exemple, soit l’environnement humanitaire » indique Virginie Allard, directrice déléguée des relations académiques et entreprises à l’Ieseg.
Un passage imposé
À l’instar de l’Ieseg qui le pratique depuis de nombreuses années, les stages « ouvriers » gagnent du terrain dans les écoles de commerce. HEC, la prestigieuse business school de Jouy-en-Josas l’a intégré à son parcours il y a moins de deux ans. « Nous l‘imposons à nos 380 étudiants de première année depuis la rentrée de 2023 dans le cadre de leur parcours engagement. Il est important qu’ils se confrontent au terrain et aux réalités humaines de l’entreprise. Cette plongée de trois semaines leur apprend à s’intégrer, à se situer dans le champ social et à découvrir ce qui donne ou entrave le sens de l’activité individuelle et collective au sein des entreprises » analyse Romain Briat, directeur exécutif du centre Purpose à HEC.
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Ici, les étudiants ne choisissent pas eux-mêmes leur mission : le stage leur est attribué aléatoirement, via un système de vœux, par l’école qui a des partenariats avec des dizaines de grands groupes (L’Oréal, Schneider Electric…), de PME et d’entreprises d’insertion (ESAT, entreprises adaptées…). Il s’agit de postes d’exécution en usine, dans des centres logistiques dans le secteur industriel, agricole, de la restauration/hôtellerie, du facility management, du BTP, de l’aide à la personne, du handicap… « La notion de pénibilité est souvent présente, elle peut être liée aux trajets à effectuer ou au côté physique du poste » ajoute Romain Briat.
L’objectif est d’apprendre au-delà de la théorie
Après l’avoir abandonné pendant une dizaine d’année, l’Essec a réintégré en 2007 le stage « terrain » dans ses cursus Grande Ecole et Global BBA. « Nous ne pouvons pas former des managers déconnectés du terrain. C’est un moyen de les faire entrer dans une réalité qui n’est pas forcément la leur, notamment pour ceux qui sortent de deux ans de prépa, très scolaire et académique » explique Yann Kerninon, coordinateur des expériences terrain à l’école de Cergy. Là aussi, les stages sont trouvés et attribués par l’école, « pour éviter les expériences bidon ou le piston » prévient Yann Kerninon.
Pour les élèves de l’Essec, direction les supermarchés Métro ou les magasins Ikéa pour de la mise en rayon, les restaurants Burger King pour préparer les frites, les Ressourceries pour faire du tri ou encore la Jungle de Calais pour gérer les repas des migrants. L’école a des dizaines de partenaires, elle leur envoie chaque année quelques 1 100 étudiants, qui en ressortent grandi selon Yann Kerninon. « Un élève en stage dans une usine chez Saint Gobain m’a raconté avoir changé de regard sur le report de l’âge de départ à la retraite. Son immersion lui a permis de comprendre ce que pouvait représenter un an de plus pour un ouvrier qui a passé sa vie sur une chaine de montage. C’est typiquement ce genre de prise de conscience et de hauteur que l’on souhaite voir naitre chez nos étudiants : qu’ils apprennent autre chose par l’expérience ».
Trouver un stage : un bon moyen d’appréhender les difficultés du marché de l’emploi
Timothée, lui, n’en est pas encore là. Il commence tout juste. Les mains cloquées, il déballe et remballe comme à l’époque des Temps Modernes, sans, pour l’heure, y voir un grand intérêt. Il est cependant fier d’avoir trouvé son stage tout seul. Envoi de CV, démarchage… il a essuyé plusieurs refus avant de frapper à la bonne porte. « Cette démarche est volontaire de notre part. Cela permet à nos étudiants de se confronter au marché du travail, de travailler leur candidature, de chercher un poste. C’est très formateur. De notre côté, pour être assurés que leur stage correspond à ce que nous attendons, ils doivent nous le faire valider » précise Virginie Allard de l’Ieseg.
Quelque soit l’école, tous les stages ouvriers se soldent par un rapport de stage et une soutenance orale. C’est souvent à cette étape que les étudiants prennent la pleine mesure de l’intérêt de l’exercice et comprennent l’utilité d’avoir mis les mains dans le cambouis.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Le retour des stages ouvriers dans les écoles de commerce
Renouveau des stages ouvriers dans les écoles de commerce : Après une période d’abandon, ces stages peu qualifiants, impliquant des missions dans la manutention, la restauration ou l’industrie, reviennent en force pour donner aux étudiants une immersion dans la réalité du monde du travail.
Objectifs éducatifs et sociétaux : Ces stages visent à confronter les étudiants à la pénibilité, aux défis humains et sociaux en entreprise, favorisant leur compréhension concrète du terrain et de la diversité des environnements professionnels.
Intégration dans les parcours pédagogiques : Des écoles prestigieuses comme HEC ou l’Essec ont réincorporé ces stages pour renforcer l’ancrage pratique et la compréhension sociale, avec des missions attribuées d’avance dans des partenaires variés (grandes entreprises, PME, associations).
Apprentissage par l’expérience : Ces stages permettent aux étudiants de dépasser la théorie, de changer leur regard sur le travail et d’acquérir une conscience des enjeux sociaux, souvent citée comme un moment clé dans leur formation.
Impact sur la perception du marché de l’emploi : Les établissements proposent aux étudiants de trouver un stage ouvrier afin qu’ils aient une meilleure compréhension des réalités professionnelles. Ils développent leur capacité à prospecter, se préparent et s’adaptent aux exigences du marché du travail.