Que fait vraiment un chercheur du CNRS au quotidien ? De la bibliothèque aux archives nationales, entre liberté intellectuelle et solitude peuplée, Stéphanie Roza, philosophe spécialiste des Lumières, dévoile les coulisses d’une profession aussi fascinante qu’exigeante.
Stéphanie Roza est agrégée, docteure en philosophie, chargée de recherche au CNRS, rattachée au laboratoire SND (Sorbonne Université). Mais derrière la rigueur de son CV se cache un parcours fait de bifurcations, d’endurance et d’une curiosité insatiable : celle d’une femme qui a choisi de consacrer sa vie à comprendre comment les idées circulent entre les siècles et continuent de modeler nos façons de penser le monde.
Après deux années de classes préparatoires littéraires, elle échoue au concours de l’École normale supérieure et bifurque vers l’université. Elle décroche l’agrégation de philosophie et enseigne pendant cinq ans dans le secondaire. L’expérience la déçoit rapidement. « Le métier n’était pas celui que j’avais imaginé : beaucoup d’instabilité, de remplacements, peu de temps pour penser », confie-t-elle. En 2009, elle s’inscrit en thèse tout en continuant à enseigner. La double vie commence : professeur le jour, doctorante la nuit. « Je savais que je voulais faire de la recherche. C’était une évidence. »
Deux ans plus tard, elle obtient un poste d’attachée temporaire à la Sorbonne, puis à Grenoble. Elle soutient sa thèse en 2013 et intègre finalement le CNRS en 2016, après deux tentatives. Elle sourit en évoquant son dossier de candidature : « J’ai présenté un projet de recherche que je n’ai finalement jamais mené ! Mais c’est aussi ça, la recherche : savoir changer de cap. »
La liberté intellectuelle pour moteur
« Ce que j’aime dans mon métier, c’est la liberté », dit-elle sans hésiter. Liberté de choisir ses sujets, d’ouvrir de nouveaux chantiers intellectuels. Cette autonomie est au cœur du CNRS, où chacun définit sa trajectoire. Mais elle a un prix : « Tout repose sur le volontarisme. Personne ne vous dit quoi faire, ni comment. Si vous ne créez pas vos projets, rien ne se passe. »
Stéphanie Roza travaille depuis chez elle ou à la Bibliothèque nationale. Entre deux cours à la Sorbonne, elle lit, écrit, anime un séminaire, ou prépare un colloque à l’étranger. L’année dernière, c’était la Chine ; cette année, ce sont ses collègues chinois qui viennent à Paris. « J’essaye de ne pas faire plus d’un vol par an dans le cadre professionnel. La recherche doit elle aussi réfléchir à son impact carbone. » Une discipline que s’imposent désormais les laboratoires, qui encouragent les chercheurs à privilégier les visioconférences. « C’est un peu triste », reconnaît-elle, « mais j’évite de faire un saut de puce juste pour une communication de vingt-cinq minutes. »
Cette mobilité, intellectuelle autant que géographique, définit sa vie de chercheuse : lecture, écriture, échanges, collaborations, mais aussi beaucoup d’heures passées seule face à ses textes. « C’est un métier de liberté, oui, mais c’est aussi un métier de solitude. Il faut aimer travailler longtemps, sans validation immédiate. »
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Des Lumières à nos jours
Son domaine ? Les Lumières, et ce qu’elles ont légué aux penseurs du XIXe et du XXe siècles. « Je travaille sur la manière dont l’idée de progrès, d’égalité ou d’émancipation a été transformée dans les gauches politiques », explique-t-elle. Elle dirige aujourd’hui l’édition des œuvres complètes de Gracchus Babeuf, révolutionnaire du XVIIIe siècle considéré comme l’un des premiers théoriciens du communisme. Un projet de longue haleine, mené avec des historiens, littéraires et philosophes : « Certains de ses textes dormaient dans les archives depuis deux siècles. Les republier, c’est rendre à l’histoire une part oubliée de la Révolution française. »
Loin d’un travail purement érudit, elle y voit un engagement intellectuel : comprendre le passé pour éclairer le présent. « Les Lumières ne sont pas un musée. Ce sont des outils pour penser le monde contemporain. »
Que pense-t-on de l’arrivée de l’IA chez les chercheurs ?
La chercheuse observe avec curiosité l’arrivée de l’intelligence artificielle dans le monde académique. « C’est utile pour trier des corpus, croiser des textes, mais ça ne remplacera jamais l’interprétation. » Pour elle, ces outils obligent les chercheurs à monter en exigence. « On ne pourra plus se contenter de faire des choses trop descriptives, car cela, l’IA le fait très bien. Si on veut rester indispensables, il faudra être plus créatifs que les machines. »
Autre transformation récente : la pression médiatique croissante. On demande désormais aux chercheurs de faire de la « science ouverte », d’intervenir dans les médias, de commenter l’actualité. « Ça m’est arrivé d’aller à la radio pour parler de mon bouquin, et finalement on m’interroge sur la dernière actualité. » Elle a appris à refuser certaines de ces sollicitations. « Il y a une frontière entre exprimer des opinions en tant que citoyen et garder une expertise scientifique. Certains collègues se servent parfois de leur statut d’expert pour finalement donner leur opinion. J’essaye d’éviter ce mélange des genres, mais ce n’est pas toujours facile. »
Quels conseils pour intégrer le CNRS ?
À ses étudiants qui rêvent de faire de la recherche, Stéphanie Roza ne cache rien des difficultés. « C’est un métier très compétitif. Les postes sont rares, les concours sélectifs, la reconnaissance lente. » Pour devenir chercheur ou chercheuse au CNRS, il faut d’abord soutenir une thèse, puis présenter un projet de recherche original devant un jury national. « Le concours est très exigeant : il faut un dossier solide, un projet crédible et une vraie cohérence scientifique. » Elle-même s’y est reprise à deux fois avant d’être recrutée en 2016. Elle recommande systématiquement de passer l’agrégation : « C’est une bonne école de rigueur et de résistance, un premier test de ce qu’on est capable d’encaisser comme pression, comme compétition. »
Quelles qualités pour un bon chercheur ?
La philosophe évoque un métier fait de patience et de constance. « Il faut aimer la lenteur. Le travail d’archives, l’écriture, les relectures : tout prend du temps. » Mais la passion, dit-elle, compense la difficulté. « C’est aussi un métier en or. On peut douter, chercher, contredire, changer d’avis. On travaille sur ce qu’on aime, pour soi mais aussi pour les autres. »
Quant à la solitude souvent associée au métier, elle la relativise : « C’est une solitude peuplée. On est souvent seuls, mais jamais isolés. On travaille entouré des voix du passé, et il y a toujours une part de projets collectifs. » Stéphanie Roza continue d’ailleurs à enseigner à la Sorbonne et au Nouveau Collège d’études politiques : « Ce n’est pas une obligation statutaire, mais j’aime transmettre. » Pour elle, la recherche n’est pas une tour d’ivoire, mais une manière concrète de participer au monde.
Découvrez le métier de chercheur pour vous aider à faire votre choix de carrière : débouchés, formations, diplômes…
NOTRE RÉSUMÉ EN
5 points clés
PAR L'EXPRESS CONNECT IA
(VÉRIFIÉ PAR NOTRE RÉDACTION)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : le métier de chercheuse au CNRS raconté par Stéphanie Roza
Un parcours fait de persévérance
Agrégée et docteure en philosophie, Stéphanie Roza a connu un chemin exigeant avant d’intégrer le CNRS en 2016, après plusieurs échecs et années d’enseignement. Son parcours illustre la compétition et la ténacité nécessaires pour embrasser la carrière de chercheur.
La liberté intellectuelle comme moteur
Ce qu’elle apprécie le plus dans son métier, c’est l’autonomie totale : choisir ses sujets, mener ses projets, créer ses collaborations. Mais cette liberté s’accompagne d’une grande discipline personnelle et d’une part de solitude assumée.
Des Lumières à l’engagement contemporain
Spécialiste du XVIIIe siècle, elle travaille sur l’héritage des Lumières dans les pensées politiques modernes. En dirigeant l’édition des œuvres de Gracchus Babeuf, elle montre comment la recherche historique éclaire les enjeux d’aujourd’hui.
Une recherche en mutation
L’arrivée de l’intelligence artificielle transforme le travail scientifique. Si elle facilite l’analyse de corpus, Roza rappelle que l’interprétation et la créativité humaine restent irremplaçables. Elle souligne aussi la montée des pressions médiatiques et la nécessité de préserver la rigueur scientifique face à l’exposition publique.
Un métier d’endurance et de passion
Pour la chercheuse, réussir au CNRS demande patience, constance et curiosité. La lenteur du travail scientifique est compensée par la liberté de penser. Elle conclut : la recherche n’est pas une tour d’ivoire, mais une manière concrète de participer au monde.













