En France, malgré des décennies de politiques publiques ambitieuses, les inégalités territoriales persistent. Les Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV), qui regroupent près de 5,4 millions d’habitants, ainsi que d’autres zones sous-représentées (ruralité isolée, outre-mer), concentrent toujours des difficultés socio-économiques majeures. Mais au-delà des chiffres, c’est aussi le contexte socio-culturel qui pèse dans la reproduction des inégalités, freine l’émancipation et verrouille les trajectoires.
Des disparités tenaces
Les études de l’Observatoire National de la Politique de la Ville (ONPV), du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) et de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT) dressent un constat sans appel : le taux de pauvreté dans les QPV demeure globalement trois fois supérieur à la moyenne nationale, et le chômage y touche davantage la population active. En 2020, 30 % des actifs de moins de 30 ans y étaient sans emploi – deux fois plus qu’ailleurs. Et ce, à diplôme égal.
À l’école, les écarts se creusent tôt. Redoublements plus fréquents, orientation subie : près de 38 % des jeunes de QPV sont dirigés vers la voie professionnelle au lycée, contre 23 % de leurs voisins. Seuls 54 % obtiennent le bac (contre 77 % ailleurs), et dans le supérieur, 34 % quittent l’université sans diplôme, contre 20 % hors QPV.
Des freins invisibles mais puissants
L’autocensure façonne les choix scolaires des individus : les chiffres le montrent, les élèves des quartiers prioritaires s’orientent souvent vers des filières moins sélectives. Ce “choix du nécessaire”, comme l’appelle Bourdieu, s’explique par un déficit de capital culturel familial, mais aussi par l’absence de modèles de réussite alternatifs visibles dans l’environnement proche.
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À ce phénomène s’ajoute, pour ceux qui tentent d’inventer un parcours différent, une stigmatisation liée à l’adresse, qui assigne une identité sociale dévalorisée, forçant de nombreux jeunes à renoncer à postuler, convaincus qu’ils en seront pénalisés. Le manque de réseau professionnel aggrave la situation : 86 % estiment que « sans piston, l’accès aux grandes entreprises est difficile ». Beaucoup peinent à décrocher stages et premiers emplois.
Enfin, l’éloignement géographique vis-à-vis des bassins d’activité économique complique l’accès à l’emploi et aux formations, renforçant l’écart.
Des leviers qui ouvrent des possibles
Face à ces constats, des initiatives prometteuses émergent. Le dédoublement des classes de CP/CE1 en REP+ a permis d’améliorer l’acquisition des fondamentaux dès le CP.
Les Cités éducatives (208 labellisées), mises en place depuis 2019, fédèrent les acteurs autour de la réussite du jeune, de l’école au périscolaire. Pour lutter contre l’autocensure, les “Cordées de la réussite” accompagnent des collégiens et lycéens de milieux modestes à viser plus haut, à élargir leur horizon scolaire.
Côté insertion professionnelle, les “Cités de l’emploi”, lancées en 2021 dans plus de 50 départements, coordonnent les actions locales pour lever les freins à l’embauche, avec des résultats encourageants : un jeune sur deux en contrat aidé “Parcours emploi compétences” était en emploi six mois plus tard.
Enfin, des associations comme Nos Quartiers Ont du Talent ou Mozaïk RH facilitent l’accès à des réseaux professionnels et transmettent les codes du monde du travail aux jeunes diplômés.
Changer les règles du jeu
L’analyse des freins socio-culturels dans les quartiers prioritaires révèle la complexité des mécanismes de reproduction des inégalités. Mais les dynamiques à l’œuvre montrent qu’il est possible de les faire reculer : quand on crée des passerelles, quand on valorise les talents, les écarts se réduisent et les actions portent leurs fruits. Le chômage est en baisse, la part de jeunes sans emploi ni formation recule, de plus en plus de diplômés deviennent mentors, et de nombreux entrepreneurs émergent. Ces trajectoires individuelles ne sont pas des exceptions : ce sont les signes que les bons leviers produisent leurs effets.
Les quartiers populaires regorgent d’individus lucides, curieux, engagés. Ils n’attendent pas qu’on agisse à leur place — mais qu’on leur donne les moyens de prendre la leur. À nous de choisir : reconduire les inégalités, ou faire l’effort de construire les conditions d’une égalité réelle. Le potentiel est là. Ce sont les conditions qu’il faut faire évoluer.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Freins invisibles, destins verrouillés : comment le contexte socio-culturel freine la réussite
Inégalités persistantes dans les quartiers prioritaires : Dans un premier temps, les quartiers prioritaires de la ville (QPV) concentrent des difficultés socio-économiques majeures, avec un taux de pauvreté, de chômage et de décrochage scolaire nettement supérieur à la moyenne nationale, même avec des diplômes équivalents.
Freins invisibles et stéréotypes socio-culturels : L’autocensure, le manque de modèles de réussite visibles, la stigmatisation liée à l’origine social et l’absence de réseaux sont des phénomènes qui freinent l’ambition des élèves issus des quartiers populaires, impactant leurs choix éducatifs et professionnels.
Difficultés d’accès à l’emploi et aux formations : Les élèves des quartiers ou de classes populaires doivent souvent faire face à l’éloignement géographique, au manque de réseaux et à la stigmatisation, ce qui limite leurs opportunités d’emploi et d’accès à des stages, renforçant le cercle d’inégalités.
Initiatives et leviers pour faire évoluer la situation : Des programmes comme les Cités éducatives, les Cordées de la réussite ou les Cités de l’emploi ont permis d’améliorer l’acquisition de compétences, d’élargir les horizons scolaires et de favoriser des processus d’adaptation dans l’insertion professionnelle des individus.
L’espoir d’un changement par l’action concertée : Les idées pour valoriser les talents, créer des passerelles et soutenir le phénomène de l’entrepreneuriat dans ces quartiers, montrent que des dynamiques positives existent. La place de l’action collective est fondamentale afin de réduire considérablement les inégalités sociales et culturelles.