À Molsheim, en Alsace, une nouvelle école entend faire résonner l’appel du 18 juin sur le terrain de la tech. Son ambition ? Former des stratèges du numérique capables de défendre une souveraineté française dans la guerre économique qui se prépare. Rencontre avec le Dr Cyril-Alexandre Pachon, directeur des études de l’École 18.06 et concepteur d’un cursus IA qui revendique un retour aux fondamentaux.
À Molsheim, dans le Bas-Rhin, l’École 18.06 affiche d’emblée son positionnement : un projet éducatif « au service de la souveraineté intellectuelle et technologique ». Pour Cyril-Alexandre Pachon, directeur des études et créateur du cursus IA, cette ambition passe par la maîtrise de la donnée, « bien plus que par les algorithmes ou les machines ». « La souveraineté, c’est la capacité à comprendre, protéger et exploiter ses propres données, au lieu de les brader ou de les exporter sans contrôle », insiste-t-il.
L’école, dont la première rentrée aura lieu à l’automne 2025, porte son nom en étendard. « C’est un appel à se réveiller. L’idée est claire : attention danger. Pas pour l’informatique en soi, mais pour la donnée. » Si le clin d’œil à l’appel du 18 juin est assumé – l’établissement d’enseignement supérieur est parrainé par Nathalie de Gaulle – c’est aussi pour souligner une volonté politique : celle de restaurer une capacité française à innover, sans dépendre des puissances étrangères. L’école propose ainsi différents cursus : informatique, sciences politiques, intelligence artificielle, diplomatie d’affaires, renseignement et cyberdéfense.
Former des bâtisseurs, pas des opérateurs
Au sein de l’établissement, on forme à l’intelligence artificielle comme on forme des citoyens éclairés. Pas question de céder aux mirages du « clic-clic-souris », selon l’expression récurrente du directeur. « Aujourd’hui, trop d’étudiants utilisent des outils sans rien comprendre de leur architecture. Nous, on part de la feuille blanche : sciences fondamentales, culture générale, compréhension fine des modèles mathématiques, puis développement et usages. L’outil vient en dernier, jamais en premier. » Le cursus, réparti entre bachelor intégré et master en alternance, distingue clairement deux voies : développement et cybersécurité. Le tout ancré dans un écosystème local d’entreprises et de partenaires, pour faire de l’alternance un vecteur d’intégration professionnelle – y compris dans une petite ville comme Molsheim, riche en start-up et en industries.
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Mais plus qu’une expertise technique, c’est une posture que cherche à inculquer l’École 18.06. « Si une machine est capable de répondre à un exercice académique, c’est que l’exercice est mauvais. Ce qu’on attend d’un étudiant, c’est qu’il pense, qu’il comprenne, qu’il doute », martèle le Dr Pachon. Une philosophie qui s’incarne dans la pédagogie : cours en présentiel uniquement, retour au papier et au crayon, tests d’admissibilité sur mesure et encadrement serré. Ici, on écrit, on raisonne, on modélise, on fabrique. Même les imprimantes 3D sont démontées pour être nettoyées par les étudiants.
De l’IA à la stratégie, une vision globale
L’un des aspects singuliers de l’école est son ouverture aux sciences politiques. Loin d’un simple vernis culturel, ces enseignements sont pensés comme des outils d’analyse critique des enjeux du numérique. « Je veux des informaticiens capables de dialoguer avec des juristes, des diplomates, des analystes. Et inversement. Il faut fabriquer des ponts, pas des silos », affirme le directeur, qui voit dans cette hybridation une clé de souveraineté. « Je ne veux plus d’outils conçus par des informaticiens pour des informaticiens. Je veux des solutions pensées avec et pour les métiers. »
De fait, les débouchés visés vont au-delà des profils classiques de data scientist ou d’architecte IA. Les étudiants peuvent aussi s’orienter vers l’intelligence économique, le conseil stratégique, ou même créer leur propre structure. « On leur enseigne aussi l’entrepreneuriat. Ils doivent être capables de bâtir, pas seulement d’exécuter. »
L’appel du 18.06 : une école, une alerte
Si l’école se lance hors Parcoursup, avec des titres reconnus par France Compétences, l’ambition est claire : croître vite, mais sans sacrifier l’exigence. Les inscriptions restent ouvertes, avec des entretiens, des tests d’admission et un suivi individualisé. « On cherche des profils rigoureux, curieux, disciplinés. L’objectif est d’avoir une vingtaine d’étudiants par promotion, dans un cadre qui favorise l’entraide, la transmission, le débat. »
Mais derrière cette structure encore en devenir, c’est une alerte que lance Cyril-Alexandre Pachon. « La part française dans le numérique mondial est de 0,01 %. On forme des ingénieurs que l’on envoie travailler ailleurs, sans garde-fous. Et pendant ce temps, on laisse fuir nos données, nos modèles, nos cerveaux. » Pour lui, le scandale de la data est à venir. Ou à éviter, à condition d’agir maintenant. Avec des écoles comme 18.06 pour têtes de pont.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Souveraineté, IA, stratégie : l’École 18.06 entre en résistance
Souveraineté numérique : Sur son campus, l’école vise à former des stratèges du numérique capables de maîtriser et protéger leurs données, pour éviter la dépendance aux puissances étrangères et préserver la souveraineté technologique française.
Formation aux fondamentaux : Elle privilégie une pédagogie axée sur les sciences fondamentales, la culture générale, et une compréhension approfondie des modèles mathématiques, avec un apprentissage pratique en présentiel, pour former des citoyens éclairés et des futurs innovateurs.
Approche interdisciplinaire : L’école entend créer des ponts entre les domaines de l’informatique, du droit, des sciences politiques et de la stratégie, estimant que cette hybridation est essentielle pour concevoir des solutions numériques souveraines et adaptées aux enjeux géopolitiques.
Débouchés variés : Au-delà des métiers traditionnels de data scientist ou d’ingénieur IA, les étudiants du campus sont orientés vers l’intelligence économique, le conseil stratégique, ou l’entrepreneuriat, avec une formation visant à bâtir plutôt qu’à exécuter, devenant des véritables acteurs du changement.
Crainte de perte des talents et des données : Cyril-Alexandre Pachon souligne le risque que la France forme des ingénieurs qui partent à l’étranger et que ses données soient spoliées, appelant à agir rapidement pour préserver sa souveraineté numérique à travers des écoles comme l’École 18.06.