Référencer son école

La menace cyber est multiforme !

Bienvenue dans 20 sur 20, le podcast de L’Express Education. Philippine Dolbeau, entrepreneure, conférencière et animatrice télé, y accueille des personnalités du monde de l’éducation, des hommes et des femmes inspirants venus livrer leurs réflexions sur l’école d’aujourd’hui et de demain. Alors, qu’ils soient chercheurs, entrepreneurs de la EdTech, professeurs, parents, politiques ou même philosophes, tous partagent la même volonté de transformer l’éducation et de préparer la nouvelle génération aux défis de demain. Chaque semaine dans 20 sur 20, nous découvrons ces acteurs qui font bouger les lignes de l’éducation.


Dans cet épisode, Philippine Dolbeau rencontre Yann Bonnet, directeur général Délégué du Campus Cyber. Il est également reconnu pour son rôle dans l’élaboration de stratégies nationales et européennes sur des sujets comme l’intelligence artificielle et la cybersécurité. En parallèle, il transmet sa passion et son expertise à Sciences Po Paris, où il forme les leaders de demain.

Yann Bonnet : Dès le collège, j’étais très curieux par l’arrivée dans les années 90 d’Internet. […] J’ai voulu essayer de mieux comprendre ce qu’était cette chose magique qui arrivait. Je passais du temps à découvrir ce qu’on appelle le hacking, comment accéder à Internet gratuitement, comprendre son fonctionnement et celui du numérique. J’ai compris que ce n’était pas quelque chose de purement technologique mais aussi politique avec des impacts dans tous les niveaux de notre vie.

Yann Bonnet : J’ai eu la chance de travailler au Conseil national du numérique, un think tank qui travaille pour les gouvernements. À l’époque, c’était le président de la République qui nommait des membres pour aider les gouvernements qui se succèdent à mieux comprendre les impacts du numérique sur l’éducation, la santé, la lutte contre le terrorisme, etc. 

J’ai eu pendant six mois la chance de travailler avec Cédric Villani sur cette mission, qui a aidé à définir la stratégie de la France sur l’IA. C’était assez passionnant de voir la révolution de l’intelligence artificielle. L’IA, comme le numérique, est un pharmakon, c’est à la fois un remède et un poison pour notre société, comme le disait le philosophe Bernard Stiegler. C’est quelque chose qui apporte énormément de progrès, mais reste un outil qui peut être mal utilisé par des personnes malveillantes.

Yann Bonnet : Nous avons vraiment besoin de réfléchir sur cette transformation numérique et de ne pas la subir. Il n’y a pas de déterminisme technologique. Il ne faut pas laisser le numérique uniquement à des ingénieurs. C’est important de réfléchir, de mieux anticiper et de réguler. J’ai contribué au niveau européen, par exemple, sur un groupe d’experts qui a abouti à l’IA Act. On a une approche par les risques où on identifie un certain nombre de cas d’usage de l’IA qui sont à proscrire en Europe. Il y a d’autres cas d’usage où il faut laisser l’innovation se faire. C’est à travers ces réflexions que l’on va probablement trouver plus de confiance dans ces usages du numérique et que cela sera un véritable progrès pour notre société.

Yann Bonnet : L’idée du Campus est assez simple. Plus notre société se numérise, plus on a des menaces cyber qui peuvent arriver. Cela peut aller de la cybercriminalité, à l’espionnage, en passant par le sabotage, dans un contexte géopolitique assez compliqué. Nous avons besoin de fédérer les acteurs de l’écosystème pour être plus forts ensemble. Nous avons près de 6 000 experts qui ont accès au campus, avec près de 1 200 experts. On a des acteurs publics, comme l’agence de cybersécurité de l’État et la DGSE, des acteurs de la recherche, plus de 18 écoles, des entreprises, des startups, des grands groupes et aussi des non pure players

L’idée du campus c’est d’être plus forts ensemble et de faire rayonner l’excellence française au niveau national, européen et international. Dans la nature, un écosystème qui produit bien est un terrain où on a une biodiversité de vie. Nous fonctionnons un peu comme une SCOP (une structure privée détenue en partie par l’État). Nous avons fait en sorte que dans la gouvernance, les représentants des différents mondes de l’éducation, de la recherche, du CAC40, ont la même voix et le même poids. L’idée est d’essayer de faire en sorte que ces différents mondes travaillent beaucoup plus ensemble. Ce qui rend ce campus unique, c’est justement cette collaboration entre les différents acteurs. […]

Yann Bonnet : Dès l’origine, on a pensé le campus sous forme de réseau. On labellise des campus en région et nous sommes à cinq campus régionaux. L’idée est d’être plus fort ensemble au niveau national, de partager nos expériences, nos outils, afin de protéger notre société. On veut inverser le rapport de force par rapport à ceux qui nous attaquent. On essaye aussi d’inspirer à l’étranger. […] On a un modèle assez atypique et intéressant et c’est comme cela que l’on sera plus fort au niveau international, pour faire en sorte que l’on puisse utiliser le numérique de façon positive.

Yann Bonnet : À propos du sujet de l’éducation et des talents dans le domaine de la cybersécurité, c’est un énorme sujet. Il y a une étude de l’OCDE qui indique qu’en France, il y a 60 000 postes non pourvus. Au niveau mondial, c’est plus de 3,5 millions. Il y a un enjeu d’attirer des nouveaux talents dans le domaine de la cyber. On doit aussi former des formateurs pour ces nouveaux talents. Concernant l’attractivité des métiers, dans l’imaginaire commun travailler dans la cybersécurité, c’est égal à un homme avec une capuche et dans le noir … Mais les métiers de la cyber c’est plus de 40 métiers, techniques ou non, où il y a des hommes et des femmes qui excellent. Il y a de la géopolitique appliquée à la cyber, de la communication, du droit, etc.

Il est préférable d’avoir des cultures, de la diversité, pour avoir une équipe qui fonctionne davantage. Nous avons mis en place une plateforme qui s’appelle « évolution.campuscyber.fr », qui permet de comprendre les différentes formations qui existent. On fait beaucoup d’actions avec des universités pour former massivement et on organise régulièrement des job-dating au sein du campus. Il y a quinze jours, nous avons eu 700 personnes qui se sont inscrites en peu de temps. Parmi ces inscrits, on a 38 % de filles et 27 % de personnes en reconversion. C’est très encourageant. […] 

Yann Bonnet : Faire comprendre aux jeunes que l’IA apporte des choses positives et négatives est essentiel. […] L’IA existe depuis plus de 60 ans et peut avoir plein d’impact à différents niveaux et dans tous les domaines. Dans l’éducation, l’une des grandes révolutions est l’apprentissage personnalisé. Les cours particuliers permettent par exemple d’être deux à trois fois plus efficaces qu’un cours classique. L’apprentissage personnalisé via l’IA peut permettre d’éviter des décrochages. […]

Il peut également apporter beaucoup à notre société et contribuer à diminuer les inégalités sociales. Il faut montrer à nos jeunes que ce qui est important, ce n’est pas que le résultat, mais tout le processus. Le travail des enseignants va aussi être modifié. Avec un chat, un tuteur virtuel, etc, le jeune va pouvoir poser des questions et progresser, en dehors des heures de cours. Cela permet aussi de faire gagner du temps aux enseignants. 

Yann Bonnet : L’éducation doit permettre à la nouvelle génération de mieux appréhender le futur et cette transformation numérique. On ne peut pas laisser une génération seulement expérimenter ce qui se passe. […] On doit faire comprendre dans les classes comment fonctionne un moteur de recherche, les bulles de filtres, l’impact sur l’opinion des gens, etc… Savoir que nous sommes dans une économie de l’attention où les likes provoquent de la dopamine, l’hormone du plaisir. Ces systèmes ont été réfléchis depuis des années par des spécialistes de l’addiction. Il est nécessaire de démystifier le numérique. Il y a un énorme enjeu de former des enseignants et sensibiliser les jeunes. Il y a deux transformations majeures : la transformation numérique et la transition écologique.

Yann Bonnet : En tout cas, nous avons une énorme responsabilité en tant que professionnels du numérique. Le risque écologique est supérieur au risque numérique puisqu’il est existentiel. La nouvelle génération fait face à des défis majeurs comme celui de la transition écologique. J’ai discuté au MIT avec des enseignants qui m’expliquaient qu’en tant qu’ingénieur, il y a plusieurs types d’algorithmes. En IA, il y a certains algorithmes qui fonctionnent bien en termes de prédiction, mais le côté explicabilité est très mauvais. Et puis pour d’autres, c’est l’inverse. On a besoin de mieux comprendre et de voir les impacts de nos choix, qui peuvent avoir des impacts très importants dans notre démocratie ou pour notre planète. […]

Yann Bonnet : Il est nécessaire de sensibiliser sur ce sujet également. Le numérique n’est pas que virtuel. C’est plein de machines, des câbles, des serveurs, des data centers, … C’est aussi de l’eau pour rafraîchir les data centers. Il faut que l’on arrive à réfléchir différemment et à être plus sobre dans l’archivage de nos données. On va petit à petit aller sur des algorithmes plus sobres parce que c’est une nécessité. L’éducation est essentielle pour cette prise de conscience.

Yann Bonnet : On aborde ces sujets de souveraineté, ou autrement appelés d’autonomie stratégique. Le numérique va créer des sortes de dépendance vis-à-vis d’acteurs nationaux ou internationaux. On peut être dépendant de certains acteurs qui sont étrangers. Seulement, le jour où on est en conflit, en pénurie, cela peut se retourner contre nous. C’est important d’avoir une approche par les risques. Sur certains cas d’usage, quand c’est assez sensible, comme les données d’éducation, de santé, avec des données confidentielles, c’est extrêmement important d’avoir ces données sur le territoire français ou européen. […] 

Yann Bonnet : Sur les sujets d’IA, il va y avoir de plus en plus de métiers de data scientist qui vont entraîner des algorithmes. Il y aura probablement des métiers, tels que des auditeurs d’algorithmes. Ils vont permettre de mieux comprendre le fonctionnement de certains algorithmes dans le domaine de la cybersécurité. On travaille avec le ministère de l’Éducation et on avance énormément sur des programmes et des actions. 

On a la chance d’avoir par exemple des hackers éthiques, comme Gaël Musquet. Il va faire des petites démos de hacking de voitures. Avec un petit ordinateur, il capte l’attention. C’est comme cela que l’on peut créer aussi des vocations. Mettre en avant des rôles modèles représente l’avenir. Ce qui m’est très cher c’est aussi de rapprocher le monde de l’entreprise de celui de l’éducation. On a de la chance dans toutes nos actions au sein du Campus cyber d’être très soutenu par l’État avec France 2030. […]

Yann Bonnet : Je suis convaincu que nous devons travailler en écosystème, et pas seulement dans le domaine de la cyber. On a besoin de faire travailler beaucoup plus les mondes ensemble : de l’éducation, de la recherche, des entreprises… Cette logique d’écosystème, c’est quelque chose que l’on peut encore renforcer en France dans plein de domaines. J’espère que l’on aura des sortes de Campus Cyber un peu partout et sur différentes thématiques. Pour mieux se comprendre, être plus innovant et mieux s’adresser aux défis de notre planète et de notre époque.

Yann Bonnet : J’aimerais essayer de rapprocher le monde de l’entreprise du monde de l’éducation, favoriser la présence de professionnels dans chaque classe, tous les mois. Il devrait y avoir des entrepreneurs qui viennent témoigner et on devrait augmenter les stages. On pourrait inverser certaines logiques et faire entrer le monde de l’entreprise, de la recherche, du public, à l’école et faire témoigner des professionnels. L’objectif est de montrer tout le sens derrière certains métiers et essayer de créer des vocations. On doit montrer aux jeunes qu’on a besoin d’agilité, de volonté, de progrès. […] Les jeunes sont très agiles et curieux. Ils ont envie de progresser et c’est des compétences que l’on recherche énormément, notamment en cybersécurité. […]